Les mésanges

 

 

      PARFOIS, je les appelle

      et tendrement leur dis :

« Ça, venez donc, mes belles,

      mes chicadis-di-di ! »

 

Et vivement, elles s’empressent.

      Puis, après les bonjours,

les façons et les gentillesses,

      c’est même un peu d’humour :

 

       « D’où vient, demandent-elles,

Qu’on n’entend plus tes chers pinsons ?

Voix d’or ne vaut un cœur fidèle.

Ils chantent bien, mais ils s’en vont.

 

« Nous n’avons, nous, qu’une patrie.

Elle est tout près, sur le coteau.

Nous donnerions plutôt la vie

Que d’en céder un boqueteau.

 

« Il faut aller selon ses plumes.

À d’autres, les vastes soucis.

Nous perdrions lois et coutumes

Si nous volions trop loin d’ici.

 

« Nous perdrions l’âme, peut-être...

Un rien lui fait ou peine ou peur.

Elle n’est bien que dans ses êtres.

Tout est plus sûr chez soi qu’ailleurs. »

 

      Sitôt cette tirade faite,

      Elles montent d’un échelon,

      et sans parler dîme ni quête,

      ainsi gazouillent leur sermon :

 

       « Pauvre ami, disent-elles,

qui n’as que pieds pour te mouvoir,

si tu savais ce qu’on peut voir,

alors qu’on vole sur des ailes !

 

« Ces palais vastes et branchus

où tant de formes s’enchevêtrent,

ces escaliers hauts et touffus

où ton regard, à toi, s’empêtre,

 

« C’est là qu’il te faudrait monter.

Tout alentour y est lumière.

On y voit mieux que dans ta chaire

la pitoyable vérité.

 

« Tu les verrais de nos balcons

passer les misères humaines ;

aller, venir, à grand’foison,

les nouvelles et les anciennes.

 

« Tu les verrais, les miséreux

qui par le long hiver cheminent.

Ils ont froid dur et faim chagrine.

Il n’est chaleur ni pain pour eux.

 

« Que ferions-nous qui les console ?

L’été, nous chantons jour et nuit.

Le cœur d’un pauvre alors s’envole

Un peu plus haut que son ennui.

 

« Mais, en hiver, sous chair dolente,

Pauvre n’écoute que douleur.

Que voudrais-tu, las ? qu’on lui chante,

quand froid et faim tiennent son cœur ?

 

« Mais toi qui prêches l’Évangile

du mauvais Riche et son Festin,

si tu voyais les longues files

des Lazares sans feu ni pain,

 

« Comprenant que la moindre obole

vaut plus pour eux qu’un long discours,

sans dire amen à tes paroles,

tu volerais à leur secours... »

 

Ainsi m’ont parlé les mésanges.

J’en ai fait mon profit.

J’en ai tiré votre louange,

      Ô chicadis-di-di !

 

 

 

Félix-Antoine SAVARD, Le bouscueil,

Fides, 1972.