Prière en allant à mes cours
CE monde renouvelé du matin !
ce frais sentier !
ce limpide lac
tout aux reflets et sourires du matin !
Ah ! que soit mon cœur
comme un monde nouveau,
comme ce sentier,
comme ce lac du matin,
et que mon verbe soit neuf et pur
comme le miroir du matin !
Délivrez-moi, Seigneur,
du triste matin des villes
et des poubelles de la nuit !
et des monotones, longues rues sans aurore !
Et que je ne devienne point semblable
à ce poteau sec, aux bras morts,
rigides porteurs
de fils et de mots incompris !
Mais que je sois
comme un arbre libre et vivant
et qui sait dire
les choses de la terre et du ciel !
Eaux vives,
eaux de la source de toutes choses
et de toujours,
purifiez-moi !
Que pour la faire entendre,
j’écoute, ô mon Dieu, partout
ta tendre, ton incessante voix !
Et que je module ton Nom
comme ce merle sans cesse
qui recommence l’élocution de la merveille
dans les frais feuillages attentifs du matin !
Lave mes mots, Seigneur !
Donne-moi les premiers mots
qui tremblent et scintillent
au fond des corolles du matin !
Enseigne-moi des mots de bonté, de compassion
qui sont pareils aux larmes des malheureux,
aux inquiets, aux simples mots
des humbles et des petits !
Ô Verbe !
toi qui sais ce que c’est que le verbe vivant et vrai
et qui délivre,
accorde-moi le verbe qu’ils attendent,
le verbe en marche vers les confins sacrés
de l’inépuisable, de l’ineffable
mystère au loin
de lumière et d’amour !
Amen.
Félix-Antoine SAVARD, Le bouscueil,
Fides, 1972.