Le rossignol

 

 

Qui traduira le charme troublant de ce soir de printemps ? Tout est tranquille et pourtant tout frémit, et dans l’air flotte le parfum léger des premières fleurs.

La lune s’est levée. La vallée est encore baignée d’ombre, tandis que les collines illuminées s’en vont en lignes vagues là-bas dans l’infini.

C’est bien une sensation d’infini qui se dégage de toutes choses, – de cette beauté de la nature en travail, de ce souffle de vie qui secoue par intervalles les feuilles des saules.

De la terre monte, comme une prière, l’hymne de milliers d’insectes, et leur bruissement imperceptible n’interrompt pas le grand silence. Dans l’âme aussi il se fait un silence. Tout ce qui est vain, artificiel, tombe ; de même la nuit les détails s’effacent, et seules les grandes lignes simples demeurent.

Ô Nature ! Nature ! voix de Dieu qui parle en toi et que nous entendons confusément au fond de notre être troublé, – nous voudrions te chanter, nous voudrions dire l’émotion qui envahit notre âme, mais elle refuse de se laisser traduire et nous en souffrons.

La lune est haut dans le ciel. Le silence tout à coup est devenu plus grand et il se fait comme une minute d’attente : il semble que de ce silence quelque chose doive surgir... Et là-bas, là-bas, voici une note plaintive qui se répète, toujours la même, tenue longuement, comme arrachée du fond d’un cœur.

Cette note ardente et triste, comme elle exprime l’émotion que les mots n’ont pas su rendre et qui déborde de ton chant, ô rossignol ! Comme elle fait vibrer en nous les fibres profondes, cette note douloureuse !

Et tandis que le chant se poursuit, plus assuré maintenant, – avec une sorte de passion, – nous avons la sensation étrange d’écouter chanter une âme, et, dans les notes frémissantes, passe, en un souffle puissant, le printemps tout entier.

Il chante, le rossignol, comme on ne chante pas deux fois. Il semble pressentir que l’avenir ne lui appartient pas, ni même le lendemain. Mais cette minute est à lui ; il le sait et y incarne sa vie. Cette minute est à lui : il la vivra, elle sera intense et pleine. Et puisque pour lui vivre, c’est chanter, il chantera, créature d’un instant, l’amour éternel et profond, le mystère des grands bois.

Dieu qui a voulu qu’une voix d’oiseau exprimât cette chose inexprimable – la grandeur sauvage, pleine de volupté et de mélancolie, d’un beau soir, – Dieu sans doute l’entend.

 

 

M. SAVARY.

 

Paru dans La Semaine littéraire le 13 mai 1899.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net