Où vas-tu, poésie ?
Matière, est-ce bien toi qui domines le monde ?
Poésie, où vas-tu ? De ce chaos immonde
Pourquoi t’éloigner chaste ciel ?
Science, je te hais ! Tes forces mécaniques
Asservissent l’Esprit, et tes sales fabriques
Forgent des cœurs trempés de fiel.
« Derniers cris », vous souillez toutes voix primitives !
Progrès n’es-tu qu’un mot ? Siècle aux foules hâtives
N’es-tu qu’un immense arsenal ?
Le Droit s’en irait-il du côté de l’Injuste,
Et dans le cœur humain quel instrument l’incruste ?
Est-ce le canon infernal ?
Ô poète inspiré, quitte enfin ta retraite,
L’humanité t’appelle ; elle veut qu’on la traite
De pur idéal, et d’amour.
Viens, pauvre charlatan, rêveur farci de lune,
Argente encor le monde à ta belle fortune :
Ressuscite, beau troubadour !
Poésie ! oiseau bleu, minute merveilleuse,
Chanson aux mille échos, éternelle veilleuse,
Abrite l’âme sous ton toit ;
À te bien regarder c’est déjà te comprendre,
Rester silencieux, on est sûr de t’entendre :
Que serait le monde sans toi ?
Ainsi Dieu l’a voulu ; c’est tant mieux, car en somme
L’idée est bien encor ce qui mène ici l’homme :
Serviteur, il guette l’appel !
Et cette guerre immense enfin nous débarrasse
De l’erreur que par elle, au bien de chaque race,
Viendra cette paix sans rappel.
Poète, songe-creux ! viens, apporte tes rimes ;
Pour rien donne tes chants, ces innocentes primes
Qui mettent du courage au cœur.
Les prêcher n’est-ce pas ta seule raison d’être ?
Ô traducteur sacré des sentiments du Maître,
Du Mal fais voir le Bien vainqueur !
Mets du vrai sur l’amour, du ciel sur la science,
Avec de la pitié polis la conscience :
Divin fou, viens nous divertir !
Dis que se parler franc, se sourire sans feinte,
C’est s’aimer tendrement dans une noble étreinte,
Puis après... meurs content, martyr !
J.-Albert SAVIGNAC.
Paru dans La Revue nationale en janvier 1919.