Rédemption
DIGNE des farouches crayons
De Ribeira, ce pauvre hère
Étalait un affreux ulcère
Qui purulait sous ses haillons.
D’une manche de la chemise
Sortait seul un hideux moignon,
Muette supplication
Dans sa loque de toile grise.
Un jeune couple au rire heureux
Passa, sans voir ce misérable
Tendre sa sébile d’érable
Et son regard navrant vers eux.
Un prêtre, en lisant son bréviaire,
Suivait ; mais le religieux
S’éloigna, sans lever les yeux,
Fermant l’oreille à sa prière.
Une femme à son tour parut,
Jeune, belle, en robe de soie ;
C’était une fille de joie
Que l’aspect du vieillard émut.
Ces pauvres âmes en détresse
Dont la vie a peu respecté
L’amour et la virginité
Ont quelquefois de la tendresse.
Celle-ci passait en riant ;
Mais, ayant vu cette misère,
Elle eut une pitié sincère
Et fit l’aumône au mendiant.
Puis, une joyeuse étincelle
Entre ses lèvres de carmin,
Elle poursuivit son chemin.
Alors, j’eus aussi pitié d’elle.
Va : tu mérites ton pardon,
Pensais-je, si tu t’es vendue ;
Tu n’es pas encore perdue ;
Puisque ton cœur est resté bon.
Pauvre fille ! on t’en tiendra compte ;
Si ton corps a parfois péché,
Et si tes lèvres ont touché
À ce pain amer de la honte.
En toi, la douce émotion
Commence son œuvre sublime ;
Et déjà c’est, hors de l’abîme,
Un pas vers la Rédemption.
Joseph SAVIGNY.
Paru dans La Sylphide en 1901.