Dernière méditation sur le psaume 50

 

MISERERE

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jérôme SAVONAROLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malheureux que je suis, abandonné de tous, ayant offensé le ciel et la terre, où irai-je ? Où me tourner ? Vers qui me réfugier ? Qui me prendra en pitié ? Lever les yeux vers le ciel, je n’ose, car j’ai péché gravement contre lui. De refuge, sur la terre, je n’en trouve pas, car je suis pour elle un scandale. Que ferai-je donc ? Je désespérerai ? Oh non ! La miséricorde est en Dieu, la pitié est dans mon Sauveur. Dieu seul est mon refuge, il ne méprisera pas l’œuvre de ses mains, il ne repoussera pas son image. À vous donc, Dieu très doux, je viens désolé et navré : vous seul êtes mon espérance, vous seul mon refuge. Mais que vous dirai-je ? Je n’ose lever les yeux. J’exhalerai les paroles de la douleur, j’implorerai votre miséricorde, et je dirai :

 

AYEZ PITIÉ DE MOI, Ô DIEU,

SELON VOTRE GRANDE MISÉRICORDE

 

Dieu, qui habitez une lumière inaccessible (1 Tm 6 16), Dieu caché (Is 45 15) qu’on ne peut ni voir avec des yeux de chair, ni comprendre avec une intelligence créée, ni exprimer dans la langue des hommes ou des anges : c’est vous, ô Dieu incompréhensible, que je cherche, c’est vous, ô Dieu ineffable, que j’invoque, qui que vous soyez, vous qui êtes partout. Je sais en effet que vous êtes réalité suprême, si l’on peut dire que vous êtes réalité, et non plutôt cause de toutes réalités, et même peut-on dire que vous êtes cause ? Le nom qui permette de désigner votre ineffable majesté, je ne le trouve pas. Dieu, vais-je dire, qui êtes tout ce qui est en vous ! Car vous êtes votre sagesse même, votre bonté, votre puissance et votre souveraine félicité. Et puisque vous êtes miséricordieux, qu’êtes-vous sinon la miséricorde même ? Et moi qui suis-je, sinon la misère même ? Voici donc, ô Dieu-miséricorde, voici que la misère est devant vous ! Que ferez-vous, ô miséricorde ? Votre œuvre, très certainement, car pourriez-vous changer votre nature ? Et quelle œuvre ? Ôter la misère, secourir les hommes misérables. AYEZ DONC MISÉRICORDE DE MOI, Ô DIEU. Dieu qui êtes miséricorde, ôtez ma misère, ôtez mes péchés, ils sont en effet ma suprême misère. Secourez ce misérable, manifestez en moi votre œuvre, exercez en moi votre action. L’abîme appelle l’abîme. L’abîme de la misère appelle l’abîme de la miséricorde. L’abîme des péchés appelle l’abîme des grâces. Mais l’abîme de la miséricorde est plus grand que l’abîme de la misère. Que donc l’abîme absorbe l’abîme, que l’abîme de la miséricorde absorbe l’abîme de la misère.

Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon VOTRE grande miséricorde. Non pas selon la miséricorde des hommes, qui est petite, mais selon la vôtre, qui est grande, qui est immense, qui est incompréhensible, qui excède à l’infini tous les péchés : selon cette miséricorde par laquelle vous avez tant aimé le monde que vous lui avez donné votre Fils unique (Jn 3 16). Quelle plus grande miséricorde imaginer ? Quelle plus grande charité ? Qui pourra désormais désespérer, qui pourra n’avoir pas confiance ? Dieu s’est fait homme et il a été crucifié pour les hommes. Ayez donc pitié, ô Dieu, selon cette grande miséricorde qui vous a fait livrer votre Fils pour nous, effacer par lui les péchés du monde, illuminer par sa croix tous les hommes, instaurer par lui tout ce qui est sur la terre et dans les cieux (Col 1 20). Lavez-moi, Seigneur, dans son sang, illuminez-moi dans son humilité, instaurez-moi dans sa résurrection.

Ayez pitié de moi, ô Dieu, non selon votre petite miséricorde. C’est votre petite miséricorde de soulager les misères corporelles des hommes. Votre GRANDE miséricorde, c’est de remettre les péchés et de soulever les hommes par votre grâce au-dessus de toutes les grandeurs de la terre. Ayez pitié de moi, Seigneur, selon cette grande miséricorde, pour me convertir à vous, pour détruire mes péchés, pour me justifier par votre grâce.

 

ET SELON LA MULTITUDE DE VOS MISÉRICORDES

DÉTRUISEZ MON INIQUITÉ

 

Votre miséricorde, Seigneur, c’est l’abondance de pitié, qui vous fait regarder avec tendresse les indigents. Vos MISÉRICORDES, ce sont les œuvres et les descentes de votre miséricorde. Marie-Madeleine vient à vos pieds, bon Jésus, elle les lave de ses larmes, les essuie de ses cheveux ; vous lui pardonnez et la renvoyez en paix : voilà, Seigneur, une de vos miséricordes (Cf. Mt 26 6). Pierre vous renie, il proteste avec serment qu’il ne vous connaît pas ; vous le regardez, il pleure amèrement ; vous lui pardonnez, vous le confirmez prince des apôtres : voilà de nouveau, Seigneur, une de vos miséricordes (Mt 26 74). Le brigand sur la croix est sauvé par une seule parole (Lc 23 43). Paul, alors dans la ferveur de la persécution, est appelé et rempli aussitôt de l’Esprit Saint (Act. 9 6). Voilà, Seigneur, vos miséricordes. Le temps me manquerait, si je commençais d’énumérer toutes vos miséricordes. Autant de justes, autant de miséricordes. Aucun ne pourrait se glorifier en lui-même (Cf. 1 Co 4 7). Que tous les justes comparaissent, ceux de la terre et ceux du ciel, et demandons-leur, devant vous, s’ils ont été sauvés par leur propre force. Tous répondront, d’un cœur, d’une voix : Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à votre nom donnez la gloire, pour votre miséricorde et pour votre fidélité ! (Ps 115 [113] 1.) Et encore : Ce n’est point leur épée qui leur a conquis la terre, ni leur bras qui les a sauvés ; mais c’est votre droite, c’est votre bras, c’est la lumière de votre visage, parce que vous les aimiez (Ps 44 [43] 4) ; à savoir, ce n’est point par leurs mérites, ce n’est point par leurs œuvres (Rm 9 11) qu’ils ont été sauvés, de peur qu’ils pussent se glorifier, c’est parce qu’il vous a plu ainsi. Le prophète ne l’a-t-il pas dit expressément à votre propos : Il m’a sauvé, parce qu’il s’est complu en moi (Ps 18 [17] 20). Puisque vous êtes, ô Dieu, toujours le même, n’ayant en vous ni changement ni ombre de vicissitude (Jc 1 17) ; puisque nous, vos créatures, sommes pareils à nos pères, nés dans le péché et pécheurs comme nous ; puisqu’il y a un seul médiateur de Dieu et des hommes, le Christ Jésus (2 Tm 2 5), demeurant éternellement : pourquoi ne pas répandre vos miséricordes sur nous comme vous les avez répandues sur nos pères ? Nous auriez-vous oubliés ? Serions-nous seuls pécheurs ? Le Christ ne serait-il pas mort pour nous ? N’y aurait-il plus de miséricordes en réserve ?

Seigneur, notre Dieu, je vous prie, je vous supplie, DÉTRUISEZ MON INIQUITÉ selon la multitude de vos miséricordes. Car vos miséricordes sont nombreuses, elles sont infinies pour que leur multitude puisse détruire mon iniquité. Et comme vous avez attiré, reçu, rendu justes d’innombrables pécheurs, daignez m’attirer à mon tour, me recevoir, me rendre juste par votre grâce. Selon la multitude de vos miséricordes, détruisez donc mon iniquité. Lavez mon cœur, pour que toute l’iniquité détruite, toutes les immondices balayées, il soit comme une aire pure, sur laquelle le doigt de Dieu (l’Esprit Saint), vienne écrire la loi de son amour, incompatible avec l’iniquité.

 

LAVEZ-MOI ENCORE DE MON INIQUITÉ,

ET PURIFIEZ-MOI DE MON PÉCHÉ

 

Je le confesse, Seigneur, vous avez détruit une première fois mon iniquité, vous l’avez détruite de nouveau, vous m’avez lavé mille fois : lavez-moi ENCORE de mon iniquité, car je suis de nouveau retombé. Est-ce que vous ne pardonnez au pécheur qu’un nombre de fois déterminé ? À Pierre qui demandait : Combien de fois pardonnerai- je à mon frère s’il pèche contre moi ? sept fois ? vous avez répondu : Je ne dis pas sept fois, mais septante fois sept fois (Mt 18 21), le fini signifiant ici l’infini. Votre indulgence sera-t-elle donc surpassée par l’homme ? Dieu n’est-il pas plus grand que l’homme, n’est-il pas meilleur que l’homme ? Oui, le Seigneur est grand, et tout homme vivant n’est qu’un souffle (Ps 39 [38] 6), Dieu seul est bon (Cf. Lc 18 19) et tout homme est menteur (Ps 116 [115] 11). N’avez-vous pas dit : Au jour où le pécheur gémira, je ne me souviendrai plus d’aucune de ses iniquités ? (Cf. Ez 18 21.) Me voici, pécheur et gémissant, car mes meurtrissures sont infectées par l’effet de ma folie. Me voici courbé et abattu à l’excès ; tout le jour, je marche, brisé, vers vous. Mon affliction et mon humiliation sont sans mesure, et la plainte de mon cœur est un rugissement. Seigneur, tous mes désirs sont devant vous, et mes soupirs ne vous sont pas cachés. Mon cœur se trouble en moi, ma force m’abandonne, et la lumière même de mes yeux n’est plus avec moi. (Ps 38 [37] 6-11, Vulgate.) Pourquoi donc, ô Seigneur, ne détruisez-vous pas mon iniquité ?

Et si vous l’avez déjà détruite selon la multitude de vos miséricordes, lavez-moi DAVANTAGE de mon iniquité. Je ne suis purifié qu’imparfaitement, achevez votre œuvre, ôtez toute la souillure, ôtez l’obligation à la peine, augmentez la lumière, enflammez mon cœur de votre charité, dissipez la crainte, car l’amour parfait bannit la crainte (1 Jn 4 18). Que l’amour du monde, l’amour de la chair, l’amour de la gloire, l’amour-propre me quittent tout à fait.

Davantage, de plus en plus, lavez-moi de mon iniquité, qui offense mon prochain. ET, DE MON PÉCHÉ, qui offense Dieu, PURIFIEZ-MOI. Détruisez non seulement la souillure, l’obligation à la peine, mais encore le foyer du péché. Lavez-moi de l’eau de vos grâces : celui qui boira de cette eau n’aura plus soif éternellement, mais elle deviendra en lui comme une fontaine jaillissant jusqu’à la vie éternelle (Jn 4 13-14). Lavez-moi de l’eau de mes larmes. Lavez-moi de l’eau de vos Écritures, afin que je puisse être rangé parmi ceux à qui vous avez dit : Vous êtes déjà purs, à cause de ma parole (Jn 15 3).

 

CAR JE RECONNAIS MON INIQUITÉ,

ET MON PÉCHÉ EST TOUJOURS CONTRE MOI

 

Bien que la vue de votre miséricorde et de vos miséricordes, Seigneur, me pousse vers vous avec confiance, je viens non pas comme le pharisien, qui priait en s’estimant un saint, se vantait et méprisait son prochain, mais comme le publicain, qui n’osait pas même lever les yeux vers le ciel (Lc 18 9-14). CAR JE CONNAIS MON INIQUITÉ : que je pèse mes péchés, voici que je n’ose plus lever les yeux vers le ciel ; je dis, humilié, avec le publicain : Ô Dieu, ayez pitié de moi qui suis pécheur ! Car mon âme oscille entre l’espérance et la crainte. Tantôt, la crainte des péchés que je découvre en moi me désespère ; tantôt, l’espérance de votre miséricorde me soutient. Mais parce que votre miséricorde est plus grande que ma misère, je ne cesserai, Seigneur, d’espérer en vous, je chanterai à jamais vos miséricordes (Ps 89 [88] 2). Car je sais que vous voulez non pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse (Ez 33 11), mais qu’il reconnaisse son iniquité, mais qu’il quitte son péché, vienne à vous, et vive. Mon Dieu, donnez-moi de vivre en vous, CAR JE RECONNAIS MON INIQUITÉ. J’en sais la gravité, le nombre, la malice. Je ne l’ignore ni ne la cache : je la mets devant mes yeux, pour la laver de mes larmes et confesser, contre moi, mon injustice au Seigneur.

Car MON PÉCHÉ, qui m’a poussé hardiment contre vous, EST TOUJOURS CONTRE MOI. Contre moi, car j’ai péché contre vous. Vraiment contre moi, c’est-à-dire contre mon âme, car il ne cesse de m’accuser devant vous, mon Juge, de me condamner toujours et partout. Tellement contre moi, qu’il est toujours en face de moi, dressé entre moi et vous, pour empêcher que ma prière ne passe jusqu’à vous, pour écarter de moi votre miséricorde, et l’empêcher de passer jusqu’à moi. Aussi je tremble, je gémis, j’implore votre miséricorde. Puisque vous m’avez donné, Seigneur, de connaître mon iniquité et de pleurer mon péché, achevez ma contrition et conduisez à terme ma satisfaction. Car tout don excellent et tout don parfait vient d’en haut, et descend du Père des lumières (Jc 1 17).

 

CONTRE VOUS SEUL J’AI PÉCHÉ,

ET J’AI FAIT LE MAL DEVANT VOUS,

AFIN QUE VOUS SOYEZ JUSTIFIÉ DANS VOS PAROLES,

ET VAINQUEUR LORSQUE VOUS ÊTES JUGÉ

 

J’ai trop PÉCHÉ CONTRE VOUS SEUL. Car vous m’avez prescrit de vous aimer pour vous-même, et de référer à vous l’amour des créatures. Mais voici que j’ai aimé la créature plus que vous, et que je l’ai chérie pour elle-même. Qu’est-ce donc, pécher, sinon s’attacher à l’amour de la créature pour elle ? Et n’est-ce pas agir contre vous ? Celui qui aime la créature pour elle, fait de la créature son dieu. C’est ainsi que j’ai péché contre vous seul, faisant de la créature mon dieu. Je vous ai écarté, à vous seul j’ai fait outrage. Placer ma fin dans une chose créée, ce n’était point pécher contre une simple créature ; car le précepte qui m’a été donné, ce n’était pas d’aimer pour elle quelque créature. Si vous m’aviez prescrit d’aimer pour lui l’ange seul, et que j’eusse aimé l’agent d’un tel amour, j’aurais péché contre l’ange. Mais c’est vous seul qu’il faut aimer pour vous, et la créature doit être aimée en vous, référée à vous. Aussi est-ce contre vous seul que j’ai péché, en aimant la créature pour elle.

ET J’AI FAIT LE MAL DEVANT vous. Je n’ai pas rougi de pécher devant vous. Ô Dieu, que de péchés j’ai commis devant vous, que je n’eusse jamais accomplis devant les hommes, que je n’eusse voulu à aucun prix que les hommes connussent ! J’ai craint les hommes plus que vous, car j’étais aveugle, et ma cécité m’était chère ; je ne vous voyais pas, je ne vous regardais pas : je n’avais que des yeux de chair, pour ne voir et ne craindre que des êtres de chair. Et pourtant vous regardiez tous mes péchés, vous les comptiez. Je ne pourrai ni les cacher, ni donner le change, ni m’enfuir de devant vous. Où aller pour me dérober à votre esprit, où fuir pour échapper à votre regard ? (Ps 139 [138]) Que faire ? où me tourner ? quel défenseur chercher ? Lequel, je vous le demande, sinon vous, mon Dieu ! Qui sera si bon, si tendre, si miséricordieux ? Vous dépassez indiciblement en douceur toutes les créatures. Votre propre n’est-il pas de faire miséricorde et d’épargner ? n’est-ce pas en épargnant et en faisant miséricorde que vous manifestez souverainement votre toute-puissance 1 ? Je le confesse, Seigneur, j’ai péché contre vous seul, et j’ai fait le mal devant vous.

Ayez pitié de moi, et manifestez votre toute-puissance en moi, AFIN QUE VOUS SOYEZ JUSTIFIÉ DANS VOS PAROLES ! Car vous avez dit : Je suis venu appeler non les justes mais les pécheurs à la pénitence (Lc 5 32). Justifiez-moi, Seigneur, en raison de vos paroles, appelez-moi, accueillez-moi, donnez-moi de produire un digne fruit de pénitence. N’est-ce pas pour cela que vous avez été crucifié, mis à mort, enseveli ? Vous avez dit aussi : Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai toutes choses à moi (Jn 12 32). Soyez justifié dans vos paroles. Tirez-moi après vous : nous courrons à l’odeur de vos parfums (Ct 1 3). Vous avez dit encore : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous secourrai (Mt 11 28). Je viens donc à vous, chargé de péchés, tourmenté jour et nuit, avec le gémissement de mon cœur : secourez-moi, afin que vous soyez justifié dans vos paroles, ET VAINQUEUR LORSQUE VOUS ÊTES JUGÉ. Car beaucoup disent : Il n’y a pas de salut pour lui dans son Dieu, Dieu l’a abandonné ! Triomphez (Ps 71 [70] 11), Seigneur, de ceux qui vous jugent ainsi. Ne m’abandonnez pas à jamais. Donnez-moi votre miséricorde et votre salut, et les voilà vaincus. Ils racontent, en effet, que vous n’aurez pas pitié de moi, que vous me rejetterez loin de votre face, que vous ne m’accueillerez plus. C’est ainsi que les hommes vous jugent et qu’ils parlent de vous, voilà ce qu’ils disent. Mais vous, qui êtes doux et miséricordieux, ayez pitié de moi, triomphez de leurs jugements. Manifestez en moi votre miséricorde, et qu’on glorifie en moi votre douceur. Faites de moi un vase de votre miséricorde, afin d’être justifié dans vos paroles, et vainqueur lorsque vous êtes jugé. Les hommes vous disent rigide et sévère : triomphez de leur jugement et que, voyant en moi l’effet de votre douceur et de votre miséricorde, ils apprennent à prendre en pitié les pécheurs et s’enflamment du désir de la pénitence.

 

VOICI, EN EFFET, QUE J’AI ÉTÉ CONÇU DANS LES INIQUITÉS,

ET MA MÈRE M’A CONÇU DANS LES PÉCHÉS

 

Ne considérez pas, Seigneur, la gravité ni la multitude de mes péchés, mais voyez la glaise que vous avez façonnée. Souvenez-vous que je suis poussière, et que toute chair passe comme l’herbe (Si 14 18). VOICI, EN EFFET, QUE J’AI ÉTÉ CONÇU DANS LES INIQUITÉS, ET MA MÈRE M’A CONÇU DANS LES PÉCHÉS. Ma mère charnelle m’a conçu dans le désir, et, en elle, j’ai contracté le péché originel. Qu’est-il, sinon la privation de la justice originelle et de la rectitude de tout l’homme ? L’homme conçu et né dans ce péché est oblique et dévié. La chair désire au rebours de l’esprit (Ga 5 17), la raison est débile, la volonté infirme, l’être entier fragile et pareil à la vanité. Ses sens le trompent, son imagination l’égare, son ignorance le fourvoie. Une infinité d’obstacles l’entravent dans le bien et l’entraînent vers le mal. Le péché originel est ainsi la racine de tous les péchés, le foyer de toutes les iniquités. Bien qu’il ait en chaque homme la même nature, il est le germe de tous les péchés. Vous voyez donc, ô Seigneur, ce que je suis et d’où je suis : c’est dans le péché originel, renfermant en lui toutes les iniquités et tous les péchés, que ma mère m’a conçu. Tout entier dans les péchés, pris de toutes parts dans les filets, comment pourrai-je m’enfuir ? Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas : car je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit et qui me captive sous la loi du péché et de la mort (Rm 7 19, 23). Plus votre bonté me soutient, plus elle me voit fragile et emprisonné dans les filets. Qui n’aurait pitié d’un malade et compassion d’un infirme ? Venez, venez, doux Samaritain, secourez ce blessé à demi vivant, pansez mes blessures, versez le vin et l’huile, placez-moi sur votre monture, conduisez-moi à l’hôtellerie, confiez-moi à l’hôtelier, donnez-lui deux deniers, et dites-lui : Tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour ! (Lc 10 35.)

 

VOICI, EN EFFET, QUE VOUS AVEZ AIMÉ LA VÉRITÉ ;

VOUS M’AVEZ MANIFESTÉ LES CHOSES INCERTAINES

ET CACHÉES DE VOTRE SAGESSE

 

Venez, ô très doux Samaritain ! VOICI, EN EFFET, QUE VOUS AVEZ AIMÉ LA VÉRITÉ : je veux dire, la vérité des promesses que vous avez faites au genre humain. Vous les avez chéries, les ayant faites, et vous les avez tenues : car votre amour est bienfaisance. Vous êtes immuable en vous-même ; vous n’êtes pas, comme nous, tantôt aimant, tantôt n’aimant pas. Pas de va-et-vient dans l’acte de votre amour. Vous êtes tout entier amour, et vous ne changez jamais, car Dieu est charité (1 Jn 4 16). Votre amour de la créature est bienfaisance, et ceux que vous comblez davantage sont ceux que vous aimez le plus. Qu’est-ce donc, pour vous, aimer votre vérité, sinon la faire et l’accomplir ? Vous avez annoncé un fils à Abraham, déjà dans sa vieillesse, et la promesse faite à Sarah, stérile et avancée en âge, vous l’avez tenue (Gn 17 17). Vous avez fait espérer aux enfants d’Israël une terre où couleraient le lait et le miel, vous la leur avez donnée : une fois encore vous avez aimé la vérité (Ex 3 8). Vous avez dit à David : Je mettrai sur ton trône le fruit de tes entrailles (Ps 132 [131] 11), et cela s’est accompli, car vous avez aimé la vérité. Vos promesses ont été innombrables, et toujours vous y avez été fidèle, car vous avez aimé la vérité. Vous avez annoncé le pardon et la grâce aux pécheurs qui se réfugieraient auprès de vous, et vous n’avez jamais fraudé personne car vous avez aimé la vérité. Ce fils prodigue, qui partit pour une région lointaine et dissipa toute sa substance dans la luxure, revint vers vous en disant : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d’être appelé votre enfant, faites de moi l’un de vos mercenaires » ; et comme il était encore loin, vous l’avez regardé dans votre tendresse, vous êtes accouru pour vous jeter à son cou et l’embrasser, lui rendre sa première robe, lui mettre l’anneau au doigt et des chaussures aux pieds ; vous avez tué le veau gras et mis en fête toute la maison en disant : Réjouissons-nous et festoyons, car voici mon fils qui était mort et il vit, il était perdu et il est retrouvé (Lc 15 1). Pourquoi cela, Seigneur Dieu ? Parce que vous avez aimé la vérité. Aimez donc, ô Père des miséricordes, cette vérité en moi, car je reviens à vous d’un pays lointain, accourez au-devant de moi et donnez-moi le baiser de votre bouche, rendez-moi mes premiers vêtements, introduisez-moi dans votre maison, immolez le veau gras, afin qu’à mon sujet se réjouissent tous ceux qui espèrent en vous, et que nous ayons part ensemble au festin spirituel. Est-ce que pour moi seul, Seigneur, vous manqueriez à cette vérité ?

Si vous regardez aux iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? (Ps 103 [129] 3.) Mais vous ne regardez pas aux iniquités, vous qui avez aimé la Vérité, qui l’avez aimée d’un amour immense. Et quelle est cette Vérité que vous avez aimée ? N’est-ce pas votre Fils, lequel a dit : Je suis la voie, la vérité et la vie ? (Jn 14 6.) Il est la Vérité d’où tire son nom toute vérité dans le ciel et sur la terre. C’est elle donc que vous avez aimée, en qui seule vous vous êtes complu, que vous avez trouvée sans tache, que vous avez voulu voir mourir pour les pécheurs. Gardez, ô Seigneur, cette Vérité, car voici que je suis un grand pécheur, en qui vous aurez à la garder, me pardonnant des péchés innombrables, me lavant dans le sang du Christ, me rachetant par sa passion. Pourquoi, Seigneur, me laisser une telle connaissance de votre Fils ? pourquoi me donner une telle confiance en lui ? Est-ce pour que s’accroisse ma douleur de voir ma rédemption et de ne pouvoir l’atteindre ? Oh non ! c’est pour qu’ayant compris le pardon qui m’est préparé, je m’en empare par la grâce du Christ.

Rachetez-moi donc, Seigneur, CAR VOUS M’AVEZ MANIFESTÉ LES CHOSES INCERTAINES ET CACHÉES DE VOTRE SAGESSE, afin que, guidé par cette connaissance, je sois conduit au salut. Ces choses, les philosophes ne les ont pas connues, elles ont été pour eux incertaines, même complètement cachées ; avant l’incarnation de votre Fils, à l’exception de quelques-uns à qui vous avez donné cette marque de votre amour, nul d’entre les hommes ne les a connues. Les scrutateurs curieux de l’univers, je veux dire les sages du siècle, ont percé les cieux de leurs regards, mais sans pouvoir trouver cette sagesse qui est vôtre, car vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits (Mt 11 25), à d’humbles pécheurs, et aux saints prophètes qui nous les ont transmises. Mais si vous m’avez manifesté les choses incertaines et cachées de votre sagesse et de vos Écritures, devrai-je les connaître en vain ? Pourtant, si elles ne me conduisent pas au salut, c’est en vain que je les connais. Car les philosophes, ayant connu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces, mais ils sont devenus vains dans leurs pensées, et, se vantant d’être sages, ils sont devenus fous (Rm 1 21-22). Souffrirez-vous que je sois l’un d’eux ? Oh, non ! Car vous êtes la Miséricorde même, qui ne nous abandonne jamais tout à fait. Ayez donc pitié, Seigneur, ayez pitié de votre serviteur ; faites qu’il soit compté dans le nombre de vos petits enfants ; que les choses incertaines et cachées de votre sagesse, dont vous lui avez fait part, le conduisent à la fontaine même de la Sagesse, qui est dans les cieux ; en sorte que vous soyez loué de la miséricorde que vous aurez faite à votre serviteur, vous qui jamais n’abandonnez ceux qui espèrent en vous.

 

VOUS M’ASPERGEREZ, SEIGNEUR, AVEC L’HYSOPE,

ET JE SERAI PURIFIÉ, VOUS ME LAVEREZ

ET JE DEVIENDRAI PLUS BLANC QUE NEIGE

 

Parce que vous avez aimé la vérité, Seigneur, vous m’avez manifesté les choses incertaines et cachées de votre sagesse. J’ai conçu une grande espérance, j’ai confiance que vous ne me repousserez pas hors de votre présence, vous M’ASPERGEREZ AVEC L’HYSOPE, ET JE SERAI PURIFIÉ. L’hysope est une herbe humble, chaude, odoriférante. Que signifie-t-elle, sinon votre Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, qui s’est humilié jusqu’à la mort, et à la mort de la croix (Ph 2 8) ; qui par la chaleur de son immense amour nous a aimés, et nous a lavés de nos péchés dans son sang (Ap 1 5) ; qui a rempli le monde entier du parfum de sa douceur et de sa mansuétude. Vous m’aspergerez de cette hysope quand vous répandrez sur moi la vertu de son sang, quand le Christ habitera en moi par la foi, quand je lui serai uni par l’amour, quand j’imiterai son humilité et sa passion.

Alors, je serai purifié de toutes mes immondices, VOUS ME LAVEREZ de mes larmes que l’amour du Christ fera couler, je serai brisé à force de gémir, je baignerai chaque nuit ma couche de mes larmes (Ps 6 7).

Vous me laverez, ET JE DEVIENDRAI PLUS BLANC QUE NEIGE. La neige est blanche et froide. Seigneur, si vous m’aspergez avec l’hysope, je deviendrai plus blanc que neige, car je serai transpercé de votre souveraine lumière, qui surpasse toute splendeur corporelle. Brûlant d’amour pour les biens célestes, je délaisserai toutes les affections charnelles, je serai froid pour la terre, et enflammé pour le ciel.

 

À MES OREILLES VOUS DONNEREZ JOIE ET ALLÉGRESSE,

ET MES OS HUMILIÉS EXULTERONT

 

Alors, Seigneur, je supplierai vers vous. Le matin quand votre lumière paraîtra, vous écouterez ma voix, et j’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu, il aura des paroles de paix pour son peuple (Ps 85 [84] 9), il me donnera la paix. Seigneur, vous me donnerez la paix, car j’ai espéré en vous. À MES OREILLES VOUS DONNEREZ JOIE ET ALLÉGRESSE, quand j’entendrai ce qu’a entendu Marie. Et Marie, qu’a-t-elle entendu ? Je parle de cette Marie qui se tint à vos pieds, qu’a-t-elle entendu ? Ta foi t’a sauvée, va en paix (Lc 7 50). J’entendrai aussi ce qu’a entendu le brigand : Aujourd’hui, tu seras avec moi, en paradis (Lc 23 43). Je serai dans la joie de la rémission des péchés, dans l’allégresse de la promesse des récompenses. Ne serai-je pas dans la joie et l’allégresse quand vous me rendrez, au lieu de mes péchés, toutes choses à double ? (Is 40 2.)

Alors je commencerai à goûter, Seigneur, votre douceur, j’apprendrai à habiter dans les cieux, je dirai avec le prophète : Qu’elle est innombrable la multitude de votre douceur, Seigneur, que vous tenez cachée pour ceux qui vous craignent ! (Ps 31 [30] 20.) Alors je serai dans la joie et l’allégresse, ET MES OS HUMILIÉS EXULTERONT. Ces os, qui supportent le corps, que signifient-ils, sinon les forces de l’âme raisonnable qui soutiennent la fragilité de notre chair, empêchant qu’elle ne se répande dans tous les vices, que l’homme entier ne devienne chair et ne se dissolve ? Cette ossature a été humiliée, car notre raison est bien débilitée et notre volonté trop prompte au mal. Ce n’est plus la chair qui obéit à la raison, mais la raison à la chair. Je ne sais résister aux vices, car mes os sont humiliés. Et pourquoi, sinon parce qu’ils vous ont délaissé, vous, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l’eau (Jr 2 13), qui ne sont point remplies de votre grâce sans laquelle personne ne saurait bien vivre, car sans vous nous ne pouvons rien faire (Cf. Jn 15 5). Ils se sont confiés en leur force, qui n’en était pas une, et ils se sont effondrés dans leur vanité. Que vienne donc, ô Seigneur, votre force, et mes os humiliés exulteront ; que viennent votre grâce, la foi agissant par amour, les vertus et les dons. Alors ma raison exultera, ma mémoire connaîtra l’allégresse, ma volonté la joie. Certes mes os exulteront, ils sortiront pour s’adonner aux bonnes œuvres, s’y appliquer avec une grande force ; ils ne défailliront pas, mais, soutenus par vous, ils seront conduits jusqu’à leur fin.

 

DÉTOURNEZ VOTRE FACE DE MES PÉCHÉS

ET DÉTRUISEZ TOUTES MES INIQUITÉS

 

Pourquoi, Seigneur, regarder mes péchés, pourquoi les compter, pourquoi les considérer si attentivement ? Ne savez-vous pas que l’homme est comme l’herbe des champs ? Pourquoi ne pas regarder plutôt le visage de votre Christ ? Malheur à moi. Pourquoi vous vois-je irrité contre moi ? J’ai péché, je l’avoue, mais par votre bénignité ayez pitié de moi. DÉTOURNEZ VOTRE FACE DE MES PÉCHÉS. Votre face, c’est votre connaissance. Détournez donc votre connaissance de mes péchés. Je ne parle pas de la connaissance de simple regard, par laquelle vous voyez toutes choses ; je pense à la connaissance d’approbation et de réprobation, par laquelle vous approuvez les œuvres des justes et condamnez de votre réprobation les péchés des impies. Ne connaissez pas mes péchés pour me les imputer, mais détournez votre face de mes péchés, pour que votre miséricorde les détruise. Regardez, Seigneur, cette créature que vous avez faite, regardez votre image, que j’ai recouverte dans ma misère de l’image du diable. Détournez votre face de l’image du diable, pour ne pas vous irriter contre moi, et voyez votre image pour me prendre en pitié. Ô Seigneur miséricordieux, rappelez-vous que vous avez levé les yeux vers Zachée dans le sycomore (Lc 19 1-10), et que vous êtes descendu dans sa maison, ce que vous n’eussiez jamais fait, si vous aviez considéré en lui l’image du diable. Mais y ayant aperçu votre image, vous avez été touché de compassion et vous lui avez accordé le salut. Alors, il promit de restituer quatre fois ce qu’il avait dérobé, et de donner aux pauvres la moitié de ses biens, et il obtint miséricorde et salut. Je me livre tout entier à vous, ne réservant rien, promettant avec un cœur sincère de vous servir toujours, et j’accomplirai mes vœux tous les jours de ma vie. Pourquoi donc, Seigneur, ne pas voir en moi votre image ? Pourquoi regarder encore mes péchés ? Détournez, je vous prie, votre face de mes péchés.

ET DÉTRUISEZ TOUTES MES INIQUITÉS. Toutes, pour qu’il n’en reste aucune. Car il est écrit : Quiconque aura observé toute la loi, s’il vient à faillir en un seul point, est coupable de tous (Jc 2 10), puisqu’il est coupable de la géhenne, où aboutissent tous les péchés qui conduisent à la mort. Détruisez donc toutes mes iniquités, de crainte qu’aucune ne vous offense et ne me rende coupable de toutes.

 

CRÉEZ EN MOI UN CŒUR PUR, Ô DIEU,

ET INNOVEZ DANS MES ENTRAILLES

UN ESPRIT DE DROITURE

 

Car voici que mon propre cœur m’a délaissé, il ne pense plus à moi, il vagabonde oublieux de son salut, il est parti pour l’aventure, il est séduit par les vanités, son regard erre sur les confins de la terre. Je l’ai appelé et il ne m’a pas répondu, il s’est éloigné, il a sombré dans les péchés, il est vendu. Ô Seigneur, que dirai-je ? CRÉEZ EN MOI UN CŒUR PUR, Ô DIEU, un cœur humble, un cœur doux, un cœur pacifique, un cœur miséricordieux, un cœur compatissant, qui ne fasse de mal à personne, qui ne rende pas le mal pour le mal mais le bien pour le mal, qui vous aime par-dessus tout, qui pense toujours à vous, qui parle de vous, qui vous rende grâces, qui se délecte dans les hymnes et les cantiques spirituels, qui vive dans les cieux. Créez en moi un tel cœur, ô Dieu. Tirez-le du néant, et ce qu’il n’est point par nature, qu’il le devienne par grâce. C’est vous seul qui créez dans l’âme la grâce : elle est la forme d’un cœur pur, elle tire après soi toutes les vertus, elle chasse tous les vices.

Créez donc en moi par votre grâce un cœur pur, ô Dieu, ET INNOVEZ DANS MES ENTRAILLES UN ESPRIT DE DROITURE. Que votre esprit me conduise dans la voie droite (Ps 143 [142] 10), me purifiant des attaches terrestres, me soulevant vers les choses célestes. L’amant et l’aimé ne font qu’un : qui aime les corps, est corps ; qui aime l’esprit, est esprit. Donnez-moi un esprit qui vous aime, qui vous adore, vous l’Esprit souverain. Car Dieu est Esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité (Jn 4 24). Donnez-moi un esprit de droiture, désireux de ce qui est à vous, non de ce qui est à lui. Innovez dans mes entrailles un esprit de droiture. Innovez-le, car celui que vous m’aviez donné d’abord, mes péchés l’ont éteint. Donnez-moi un esprit nouveau, pour rénover ce qui est corrompu. Mon âme est esprit, créée par vous pour la droiture. Sa première inclination naturelle est de vous aimer plus qu’elle-même et de vouloir toutes choses pour vous. (Cf. S. THOMAS, I, qu. 60, a. 5.) Car l’amour de la nature, venant de vous, est droit, mais la perversion de la volonté l’a corrompu et consumé. Innovez cet esprit et cet amour par votre grâce, pour qu’il avance tout droit selon sa nature. Innovez votre esprit dans mes entrailles, qu’il y pousse des racines si profondes qu’on ne puisse plus jamais l’en arracher. Qu’il me consume de l’amour céleste, qu’il me fasse toujours soupirer vers vous, m’attacher sans cesse à vous, ne jamais vous quitter.

 

NE ME REJETEZ PAS LOIN DE VOTRE FACE

ET NE M’ENLEVEZ PAS VOTRE ESPRIT SAINT

 

Me voici, Seigneur, devant vous pour trouver miséricorde. Me voici devant votre bonté et votre bénignité, attendant la réponse de pardon, suppliant que VOUS NE ME REJETIEZ PAS, confus, LOIN DE VOTRE FACE. Qui s’est jamais approché de vous pour s’en retourner confondu ? Qui a imploré votre visage pour revenir à jeun ? Certes, dans l’abondance de votre bonté, vous dépassez les mérites et les désirs de ceux qui vous supplient, accordant bien au-delà de ce que les hommes sauraient désirer ou comprendre, et l’on n’a jamais entendu dire que vous avez repoussé de votre face nul de ceux qui se soient approchés de vous. Serai-je, Seigneur, le premier ? Allez-vous commencer par moi de confondre ceux qui recourent à vous ? Ne voulez-vous plus avoir pitié ni merci ? Oh, non ! La Chananéenne vous suivait, elle suppliait, elle remplissait l’air de ses cris, elle émouvait de compassion vos disciples, et vous vous taisiez. Elle continuait de frapper à la porte, elle vous adorait en disant : Seigneur, secourez-moi ! Mais même alors vous ne répondiez pas. Vos disciples s’interposaient : Seigneur, renvoyez-la, car elle nous poursuit de ses cris. Ô Seigneur, que lui avez-vous donc répondu ? Qu’elle pleurait inutilement et qu’elle s’acharnait en vain ! Vous lui avez dit : Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. À ces paroles, que devait faire la Chananéenne ? Certes, désespérer de la grâce qu’elle implorait ! Et pourtant elle ne désespéra pas, mais, confiante dans votre miséricorde, elle suppliait encore en disant : Seigneur, secourez-moi ! Et son insistance se faisant importune, vous répondîtes : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. Comme si vous lui aviez dit ouvertement : Va-t’en ; vous autres Chananéens, vous êtes des chiens, vous êtes impurs et idolâtres, les dons de la grâce céleste ne sont pas pour vous ; je ne peux les ôter aux Juifs qui adorent le vrai Dieu pour les donner à des chiens qui adorent le démon, comme vous. Que feras-tu donc maintenant, ô Chananéenne ? Rougis et détourne-toi, car le Seigneur est irrité contre toi et contre tout ton peuple. Seigneur, à de tels mots, qui ne se serait retiré confondu ? Qui n’aurait murmuré ? Qui ne vous aurait traité de cruel ? Et pourtant voici que cette femme persévéra dans sa demande, elle ne perdit pas l’espérance, elle ne s’emporta ni ne s’irrita de vos duretés, mais humiliée davantage, continuant de prier, elle dit : Il est vrai, Seigneur, mais je ne demande pas de pain, je n’ai pas droit à la grâce des enfants, car je suis un chien ; je demande les miettes qui tombent de la table de vos enfants. Pour eux l’abondance de vos miracles et de vos grâces, mais que cette plus humble des grâces ne me soit pas refusée et que ma fille soit délivrée des démons. Car les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leur maître. Quelle foi, quelle confiance, quelle humilité ! Et c’est pourquoi, loin d’être irrité de ses instances, heureux plutôt de sa vertu, vous avez dit : Ô femme, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ton désir ! (Mt 15 21-28.) Pourquoi donc, Seigneur, ces choses ont-elles été écrites, sinon pour que nous apprenions à espérer en vous, à persévérer dans l’oraison avec piété et humilité, car votre désir est de donner. Mais le royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui s’en emparent (Lc 16 16). Tout ce qui a été écrit, dit l’apôtre, l’a été pour notre instruction, afin que, par la patience et la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l’espérance (Rm 15 4). Ne me rejetez donc pas loin de votre face, Seigneur, alors que je suis jour et nuit devant vous en pleurs et en sanglots : pour demander non que vous délivriez mon corps de l’oppression du démon, mais que vous arrachiez mon âme à son emprise spirituelle. Ne me confondez pas, ô bon Jésus, car j’espère en vous seul, il n’y a pour moi de salut qu’en vous. Tous m’ont délaissé : mes frères me renient, mes fils me maudissent. Je n’ai d’autre secours que vous-même. Ne me rejetez donc pas loin de votre face.

ET NE M’ENLEVEZ PAS VOTRE ESPRIT SAINT. Personne ne peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est dans l’Esprit Saint. Si donc je vous invoque, Seigneur Jésus, je le fais dans l’Esprit Saint. Si je pleure mes péchés passés, si j’implore mon pardon, je le fais certes dans l’Esprit Saint. Aussi je vous supplie, ne m’enlevez pas votre Esprit Saint, qu’il soit avec moi, qu’il œuvre en moi. Car nous ne savons pas comment faire pour prier comme il convient, mais l’Esprit Saint secourt notre infirmité et prie pour nous – c’est-à-dire nous fait prier – avec des gémissements ineffables (Rm 8 26). Ne m’enlevez donc pas votre Esprit Saint, qu’il m’enseigne à prier, qu’il me secoure dans mes épreuves, qu’il me fasse persister dans mes supplications et mes larmes, pour qu’enfin je trouve grâce devant vous et vous serve tous les jours de ma vie.

 

RENDEZ-MOI LA JOIE DE VOTRE SALUT,

ET CONFIRMEZ-MOI DE L’ESPRIT DE FORCE

 

C’est une grande chose que je vous demande, Seigneur. Car étant le grand Dieu, et le grand Roi par-dessus tous les dieux, on vous fait injure en vous demandant de petites choses. Les petites choses sont toutes celles qui passent ; les choses grandes et précieuses sont spirituelles. Ôtons l’esprit, ôtons l’âme de son corps, que reste-t-il sinon la pourriture ? Un peu de poussière et d’ombre. La distance de l’esprit au corps est celle du corps à l’ombre. Vous demander les choses corporelles, c’est vous demander de petites choses ; vous demander les spirituelles, c’est vous en demander de grandes. Mais les plus grandes sont celles qui donnent LA JOIE DE VOTRE SALUT. Qui est votre Salut, sinon Jésus, votre Fils ? Il est le vrai Dieu et la vie éternelle. Pourquoi, ô Père dont la générosité est infinie, ne vous demanderai-je pas ce Salut, que vous avez livré pour moi sur la croix ? Si vous me l’avez donné, pourquoi rougirai-je de le demander ? C’est un présent merveilleux et infini. Je n’en saurais être digne, mais il vous convient d’en faire de tels. À cause de votre bonté infinie, j’ose m’approcher avec confiance, pour demander la joie de votre Salut. Car si un enfant demande à son père charnel un poisson, en recevra-t-il un serpent ? Et s’il demande un œuf, un scorpion ? Et s’il demande du pain, une pierre ? Si donc les pères charnels, tout méchants et pécheurs qu’ils soient, veulent donner à leurs enfants ces biens qu’ils ont reçus de vous, combien plus vous-même, ô Père céleste, qui êtes la Bonté même, donnerez-vous, à ceux qui vous implorent, des choses bonnes et spirituelles ? (Lc 11 11.) Voici que votre enfant, revenu d’une contrée lointaine, navré et repentant, vous demande le poisson de la foi : car la foi, qui est de ce qu’on ne voit pas, est pareille au poisson caché sous les eaux. Il vous demande une foi vraie pour se réjouir de votre Salut. Lui donnerez-vous un serpent et les poisons de l’infidélité distillés par l’antique et rusé serpent ? Je vous demande, ô Seigneur, l’œuf de l’espérance : et de même que le petit oiseau sort de l’œuf, accordez-moi de sortir de l’espérance pour passer à la vision de votre Salut. Je vous demande cet œuf de l’espérance pour que, dès maintenant, mon âme soit sauvée dans cette vallée de larmes et réjouie par votre Salut. Me donnerez-vous le scorpion du désespoir ? Et comme le scorpion tient son venin à l’extrémité de sa queue, vais-je garder le péché pour la fin de ma vie, et m’attarder, à son exemple, dans les plaisirs du monde ? Je vous demande encore, Seigneur, le pain de la charité du Christ, qui le porte à se communiquer à tous en nourriture, afin de me réjouir toujours de votre Salut. Me donnerez-vous la dureté de cœur de la pierre ? Oh non ! Alors pourquoi craindrais-je de demander et de solliciter de vous de grandes choses ? C’est vous-même qui m’incitez et m’invitez à solliciter et à frapper jusqu’à l’importunité (Lc 18 5). Et que demanderai-je qui vous soit plus agréable, et qui me soit plus salutaire, sinon que vous me rendiez la joie de votre Salut ? Déjà j’ai goûté combien le Seigneur est doux, combien son fardeau est léger et suave. Je me rappelle quelle paix, quelle tranquillité d’âme remplissait mon cœur quand le Seigneur était ma joie, et Jésus mon Dieu, mon allégresse. Et maintenant, d’autant plus affligé que je sais ce que j’ai perdu, et quels grands biens j’ai délaissés, je crie jusqu’à l’importunité : Rendez-moi la joie de votre Salut ; rendez-moi ce dont mes péchés m’ont privé, rendez-le-moi, je vous supplie, par les mérites de Celui qui se tient toujours à votre droite pour intercéder en notre faveur. Que par lui je sente votre pardon, qu’il devienne comme un sceau sur mon cœur, afin que je puisse dire avec l’apôtre : J’ai été fixé sur la croix avec le Christ ; je vis, non plus moi-même, mais c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2 19).

Mais puisque ma fragilité est grande, CONFIRMEZ-MOI DE L’ESPRIT DE FORCE. Qu’aucune tempête ne me sépare plus du Christ, qu’aucune terreur ne m’éloigne de vous, qu’aucune torture ne me brise. Ma force n’est pas si grande qu’elle puisse s’opposer à l’antique serpent et le vaincre. Pierre m’a laissé voir combien notre infirmité est grande. Il vous a vu vous-même, Seigneur Jésus, il a conversé familièrement avec vous-même, il a connu votre gloire sur la montagne, il a entendu, au moment de la transfiguration, la voix du Père (2 P 1 17), il a vu de ses yeux vos miracles, il en a fait en votre nom, il a marché sur les eaux, il a entendu jour après jour le son de vos paroles tantôt fortes et tantôt douces. Il semblait animé d’une foi brûlante, il se disait prêt à vous suivre dans la prison et dans la mort (Lc 22 33). Quand vous lui annonciez son reniement, il ne vous croyait pas, il se fiait à son courage, il comptait plus sur ses forces humaines que sur votre secours divin. Mais une servante lui demanda : Es-tu avec ces gens ? Et aussitôt, effrayé, il nia. Une autre servante vint, qui lui dit : Vraiment, tu es l’un d’entre eux. Il nia encore. Il ne sut pas être ferme devant les femmes, comment l’eût-il été devant les rois et les tyrans ? Interrogé une troisième fois par ceux qui étaient là, il se mit à faire des imprécations et à jurer qu’il ne vous connaissait pas (Mt 26 69). Que devait-il dire ? Il jurait sans doute par Dieu et par la loi de Moïse qu’il vous ignorait, il devait protester en disant : Vous me croyez un disciple de ce Samaritain, de ce séducteur, de ce démoniaque, de ce destructeur de notre loi ? Je suis un disciple de Moïse : celui-là, je ne sais d’où il est. Par bonheur, l’interrogatoire cessa ; s’il n’avait pas cessé, le reniement n’eût pas cessé non plus. Mille questions eussent entraîné mille reniements, mille parjures, mille imprécations. Et ces questions n’étaient que des paroles, que serait-il advenu si les Juifs en étaient venus aux coups ? Pierre n’eût rien omis de ce qui eût pu le délivrer de leurs mains : reniements, parjures, imprécations, blasphèmes. Mais vous, ô bon Seigneur, vous l’avez regardé, et il connut aussitôt son péché. Pourtant il n’osa pas se jeter au milieu d’eux et confesser que vous étiez le Fils de Dieu, car il n’avait pas encore été revêtu de la force d’en haut (Lc 24 49 ; Ac 1 8) ; il aurait même continué de nier s’il avait vu qu’on préparât pour lui les fouets. Instruit par l’expérience, il sortit et pleura amèrement (Mt 26 75). Après votre résurrection, vous lui apparûtes (1 Co 15 5) et le consolâtes, et néanmoins il demeurait caché par crainte des Juifs (Ac 1 13). Il vous vit monter si glorieusement au ciel, il fut consolé et réconforté par la vision des anges (Ac 1 10), et cependant il n’osait point paraître en public, car l’expérience l’avait instruit de sa fragilité, et convaincu de sa faiblesse. Il attendait l’Esprit Saint qui avait été promis. Mais quand il lui eut rempli le cœur de sa grâce, aussitôt Pierre sortit dehors, se mit à parler, et rendit témoignage de votre résurrection avec une grande puissance. Alors, il ne craignit plus ni les prêtres ni les rois, mais il se glorifia de ses épreuves, et embrassa la croix comme ses plus chères délices. Seigneur, confirmez-moi de votre Esprit de force, pour que je puisse demeurer toujours dans la joie de votre Salut. Sinon je ne pourrai pas subsister au milieu de tant de luttes. Ma chair désire contre mon esprit (Ga 5 17), le monde me presse de toutes parts, le diable ne dort pas. Donnez-moi la force de votre Esprit, afin que mille tombent à mon côté et dix mille à ma droite (Ps 91 [90] 7), et que je sois un témoin fort et fidèle de votre foi. Si Pierre, que vous avez comblé de tant de secours et de tant de grâces, est tombé si misérablement, que pourrai-je donc faire, ô Seigneur, moi qui ne vous ai pas vu dans votre corps, qui n’ai point expérimenté votre gloire sur la montagne, qui n’ai pas été témoin de vos miracles ? C’est à peine si j’ai entrevu de loin vos œuvres admirables, je n’ai jamais entendu le son de votre voix, je me suis toujours traîné dans les péchés. Ah, confirmez- moi de l’Esprit de force, pour que je sache persévérer dans votre service et donner pour vous mon âme.

 

J’ENSEIGNERAI VOS VOIES AUX MÉCHANTS

ET LES IMPIES SE CONVERTIRONT À VOUS.

 

Ô Seigneur, ne voyez pas une témérité dans ce désir que j’ai d’ENSEIGNER VOS VOIES AUX MÉCHANTS. Tant que je reste dans l’iniquité, dans l’infamie, dans les liens, je ne puis désirer instruire les méchants. Mais si vous me rendez la joie de votre Salut, si vous me confirmez de votre Esprit de force, si vous me rendez libre, alors j’enseignerai vos voies aux méchants. Est-ce que cela vous est difficile, à vous, qui, des pierres mêmes, pouvez susciter des enfants à Abraham ? (Mt 3 9). Aucun péché ne peut être un obstacle si vous décidez de le faire. Au contraire, où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Rm 5 20). Paul, respirant encore la menace et la mort contre les disciples du Seigneur, reçut le pouvoir d’enchaîner et d’amener à Jérusalem ceux qui vous suivaient, hommes et femmes. Il partit donc aveuglé par la fureur, tel un loup ravisseur, pour disperser, enlever et tuer vos brebis. Mais tandis qu’il était en route, brûlant du désir de persécuter, et dans l’acte même du péché ; tandis qu’il s’acharnait contre vous, résolu de massacrer ceux qui étaient à vous ; tandis que rien alors ne pouvait le préparer à la grâce et qu’il n’avait aucune conscience de son péché ; tandis qu’il s’opposait à vous de toutes ses forces, plein de blasphèmes et d’imprécations : voici que la voix de votre amour tomba sur lui, disant : Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? Et sur-le-champ cette voix le courba et le redressa : elle courba son corps et redressa son âme. Il dormait et vous l’avez réveillé ; ses yeux étaient appesantis par le sommeil, et vous y avez versé la lumière, vous lui avez montré votre face, vous avez répandu sur lui votre ineffable miséricorde. Il était mort, il ressuscite ; il ouvre les yeux, il vous voit et il s’écrie : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Alors, vous envoyâtes le loup à l’agneau, Saul à Ananie. Il fut baptisé ; et soudain rempli de l’Esprit Saint, il devint un vase d’élection, pour porter votre nom aux rois, aux nations et aux enfants d’Israël. Entrant dans les synagogues, il vous prêcha avec intrépidité, affirmant que vous étiez le Christ. Il disputait, il parlait avec assurance, il confondait les Juifs (Ac 9). Voici, ô Seigneur, qu’il vous a suffi d’un instant pour changer un persécuteur en prédicateur, si saint et si grand qu’il travaillera plus que tous les autres apôtres. Ô vertu merveilleuse ! Si vous voulez faire d’un persécuteur un prédicateur, qui vous empêchera ? Qui vous résistera ? Qui osera vous en demander raison ? Vous faites tout ce que vous voulez dans le ciel, sur la terre (Ps 115 [113] 3) et dans toutes les profondeurs. Qu’on ne pense pas à de l’arrogance si je désire, non par ma vertu mais par la vôtre, enseigner vos voies aux méchants. Je sais que je ne puis rien vous offrir qui plaise davantage aux yeux de votre amour, c’est le meilleur des sacrifices, et pour moi-même le plus utile. Si vous me changez en un autre moi-même, j’enseignerai aux méchants vos voies. Non celles de Platon ou d’Aristote, ni la complexité des syllogismes, ni les principes de la philosophie, ni les paroles ampoulées des rhéteurs, ni les voies de la vanité qui conduisent à la mort : mais vos voies et vos préceptes qui conduisent à la vie. Non pas votre voie mais vos VOIES, c’est-à-dire vos préceptes, qui sont multiples. Mais toutes ces voies débouchent dans une seule, celle de la charité, qui fond ensemble les esprits des fidèles, jusqu’à faire d’eux un seul cœur et une seule âme dans le Seigneur (Ac 4 32). Ou encore vos voies, c’est-à-dire les diverses formes de vie : l’une suivie par les clercs, l’autre par les moines, l’autre par les frères mendiants, l’autre par les chrétiens vivant dans le mariage, ou dans la viduité, ou dans la continence, ou la virginité. Il y a encore la voie des princes et celle des docteurs. Les multiples états de vie sont de multiples voies par la patrie céleste.

J’enseignerai donc, Seigneur, vos voies aux méchants, les proportionnant à la condition et aux possibilités de chacun. ET LES IMPIES SE CONVERTIRONT À VOUS. Car ce n’est pas moi-même que je prêcherai, c’est le Christ crucifié. Et ce n’est point vers moi pour me louer, c’est vers vous qu’ils se tourneront. Ils délaisseront leurs voies, ils viendront aux vôtres, ils les parcourront, ils marcheront jusqu’à vous.

 

DÉLIVREZ-MOI DES FLOTS DE SANG,

Ô DIEU, DIEU DE MON SALUT,

ET MA LANGUE EXALTERA VOTRE JUSTICE

 

J’étouffe dans les flots de sang, et de leur profondeur je crie vers vous, Seigneur ; Seigneur, exaucez ma voix (Ps 130 [129] 1). Ne tardez pas, Seigneur, car la mort est proche. Mes FLOTS DE SANG, ce sont mes péchés. Le sang est la vie de la chair, comme le péché la vie du pécheur. Répands le sang d’une bête, elle meurt ; répands ton péché par la confession, le pécheur meurt et le juste naît. Je ne suis pas seulement entouré de sang, je suis immergé dans les flots de sang, un abîme de sang me tire vers l’enfer. Secourez-moi, Seigneur, de peur que je ne périsse. Délivrez-moi des flots de sang, ô Dieu, qui gouvernez et dirigez toutes choses, vous pouvez seul me libérer, vous avez en votre puissance l’esprit de vie.

Délivrez-moi des flots de sang, ô Dieu, auteur DE MON SALUT, en qui seul est mon salut. Délivrez- moi, Seigneur, comme vous avez délivré Noé des eaux du déluge, Loth de l’incendie de Sodome, les enfants d’Israël des profondeurs de la mer Rouge, Jonas du sein du monstre, les trois jeunes gens de la fournaise ardente, Pierre sombrant dans la mer, et Paul naufragé. Délivrez-moi comme vous avez délivré une infinité de pécheurs des mains de la mort et des portes de l’enfer.

ET MA LANGUE EXALTERA VOTRE JUSTICE, elle exultera à cause de votre justice, que votre grâce aura mise en moi. Votre justice, dit l’apôtre, vient de la foi en Jésus-Christ, pour tous ceux et sur tous ceux qui croient en lui (Rm 3 22). Ma langue exultera, louant cette justice, exaltant votre grâce, magnifiant vos bontés. Elle confessera mes fautes pour qu’en moi soit louée votre miséricorde, qui aura daigné justifier un si grand pécheur : afin que tous les hommes sachent que vous sauvez ceux qui espèrent en vous, et que vous les arrachez aux serres de l’angoisse, Seigneur, notre Dieu !

 

SEIGNEUR, VOUS OUVRIREZ MES LÈVRES,

ET MA BOUCHE ANNONCERA VOTRE LOUANGE

 

C’est une grande chose, Seigneur, que votre louange ! Elle procède de votre source, où ne s’abreuve pas le pécheur : la louange de Dieu n’est pas agréable dans la bouche du pécheur (Si 15 9). Délivrez-moi donc des flots de sang, ô Dieu de mon salut, et ma langue exaltera votre justice. Alors, SEIGNEUR, VOUS OUVRIREZ MES LÈVRES, ET MA BOUCHE ANNONCERA VOTRE LOUANGE. Vous avez la clé de David, vous fermez et personne n’ouvre, vous ouvrez et personne ne ferme (Ap 3 7). Vous ouvrirez mes lèvres, comme vous avez ouvert la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle, pour former votre louange (Mt 21 16). Ce sont vos prophètes et vos apôtres, et tous vos autres saints qui vous ont loué d’un cœur et d’une bouche simples et purs. Ce ne sont pas les philosophes ni les orateurs, ni ceux qui ont dit : nous ferons valoir notre langage, nous sommes maîtres de nos mots, qui donc est notre Dieu ? Ceux-ci ouvraient leurs lèvres, mais vous ne les leur ouvriez pas vous-même, vous ne formiez pas dans leur bouche votre louange. Vos enfants, Seigneur, vous louaient et ils se méprisaient ; la préoccupation des philosophes était de se louer et de se magnifier eux-mêmes. Vos petits enfants célébraient votre gloire, que votre grâce céleste leur découvrait ; les philosophes, vous connaissant par la seule raison, restaient incapables d’exprimer parfaitement vos louanges. Vos saints vous louaient de cœur, de bouche, et par leurs œuvres bonnes ; les philosophes, par les seuls discours de leur prétentieuse sagesse. Vos enfants ont chanté vos louanges sur toute la terre ; les philosophes n’ont recruté que quelques rares disciples. Les louanges de vos amis ont conduit des foules innombrables, des péchés à la vertu et à la véritable félicité ; les philosophes n’ont connu ni la vraie vertu ni la vraie félicité. Vos bien-aimés ont annoncé la bonté ineffable que vous nous avez montrée dans le Fils de votre amour ; les philosophes ne l’ont jamais connue. Aussi, est-ce de la bouche des enfants, et de ceux qui sont encore à la mamelle, que vous avez formé votre louange. Il vous a toujours plu d’exalter les humbles et d’humilier les orgueilleux. Et puisque vous ne cessez de résister aux orgueilleux, donnez-moi une vraie humilité, et formez dans ma bouche votre louange. Donnez-moi un cœur d’enfant, car, si je ne deviens pareil à un petit enfant, je ne pourrai entrer dans le royaume (Mt 18 3). Faites de moi l’un de vos enfants, l’un de vos petits enfants ; que je sois toujours porté sur le sein de votre sagesse, car elle est meilleure que le vin (Ct 1 2), elle est préférable à toutes les richesses, et rien de ce qu’on peut désirer ne peut lui être comparé : elle est pour les hommes un trésor inépuisable, et ceux qui en usent ont part à l’amitié de Dieu (Sg 7 14). Si vous faites de moi un petit enfant, vous formerez et vous parferez votre louange dans ma bouche, vous ouvrirez mes lèvres, et ma bouche annoncera votre gloire.

 

SI VOUS AVIEZ VOULU UN SACRIFICE,

JE VOUS L’AURAIS DONNÉ,

MAIS LES HOLOCAUSTES NE VOUS AGRÉENT PLUS

 

Ma bouche, Seigneur, annoncera votre louange. Je sais combien cela vous est agréable, puisque vous dites par le prophète : Le sacrifice de la louange m’honore, c’est la voie par laquelle je manifesterai mon salut. (Ps 50 [49] 23, Vulgate.) Je vous offrirai ma louange, la louange des petits enfants, pour tous mes péchés. Et pourquoi vous louer plutôt que vous offrir un sacrifice pour mes péchés ? SI VOUS AVIEZ VOULU UN SACRIFICE, JE VOUS L’AURAIS DONNÉ, MAIS LES HOLOCAUSTES NE VOUS AGRÉENT PLUS. Serez-vous apaisé par le sang des boucs ou des veaux ? Mangerez-vous la chair des taureaux et boirez-vous le sang des boucs ? Recherchez-vous l’or, vous qui possédez le ciel et la terre ? Désirez-vous mon corps en sacrifice, vous qui voulez non pas que meure le pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ? Cependant, je châtierai ma chair, avec mesure, pour que votre grâce la plie au service de la raison : car, si je dépassais la mesure, cela me serait imputé comme une faute. Votre apôtre dit en effet : Que votre culte soit conforme à la raison (Rm 12 1, Vulgate). Et vous avez dit vous-même par le prophète : Je veux la miséricorde et non le sacrifice (Os 6 6, Vulgate).

Ma bouche annoncera votre louange, car cette offrande vous honore et nous ouvre la voie de votre salut. Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt (Ps 57 [56] 8, Vulgate) : il est prêt par votre grâce à faire tout ce que vous voudrez. C’est cela seul qui vous agrée vraiment : voilà ce que je vous offrirai, voilà ce qui sera toujours dans mon cœur, voilà ce que diront mes lèvres. Si vous aviez désiré un sacrifice corporel, certes je vous l’aurais offert, car mon cœur est prêt par votre grâce à accomplir votre volonté. Mais ces holocaustes ne nous plaisent pas : vous avez fait les corps pour les âmes, vous demandez des choses spirituelles, non corporelles. Vous dites, en effet, quelque part : Donne-moi ton cœur, mon fils (Pr 22 17, Vulgate). Voilà le sacrifice qui vous agrée. Qu’on vous offre un cœur plein de la douleur de ses péchés, enflammé de l’amour des biens célestes, et qu’on ne vous le reprenne plus. Voilà l’holocauste qui vous plaît.

 

UNE ÂME BRISÉE EST UN SACRIFICE À DIEU,

VOUS NE MÉPRISEREZ PAS, Ô DIEU,

UN CŒUR CONTRIT ET HUMILIÉ

 

UNE ÂME BRISÉE, non un corps brisé, voilà ce qui vous plaît ! Le corps est brisé quand il n’a pas les biens terrestres qu’il désire, ou quand il éprouve en soi ce dont il a horreur. Mais l’esprit est brisé par ses torts, à la pensée d’avoir agi contre le Dieu qu’il aime. Il souffre d’avoir offensé son Créateur et son Rédempteur, d’avoir dédaigné son sang, d’avoir méprisé un Père si plein de bonté et de douceur. Un esprit pareillement brisé est pour vous un sacrifice d’agréable odeur. Il est composé d’aromates très amers, à savoir du souvenir des fautes passées. Quand les péchés sont rassemblés dans le creuset du cœur, broyés avec le pilon de la componction, réduits en poudre, mouillés de larmes, il en résulte un onguent et un sacrifice dont le parfum vous est très précieux et que vous ne rejetez jamais.

Car, VOUS NE MÉPRISEREZ PAS, Ô DIEU, UN CŒUR CONTRIT ET HUMILIÉ. Celui qui brise et écrase le cœur de pierre que lui ont fait ses durs péchés ; qui, dans l’abondance de ses larmes, en confectionne l’onguent de la contrition ; qui, sans jamais désespérer de la multitude ni de la gravité de ses péchés, vous apporte ce sacrifice dans l’humilité, celui-là ne sera jamais méprisé par vous, car vous ne mépriserez pas, ô Dieu, un cœur contrit et humilié. Marie-Madeleine, qui menait dans la ville une vie déréglée, composa un tel onguent, elle le déposa dans le vase de son cœur, elle n’hésita pas à entrer dans la maison du pharisien, elle se prosterna à vos pieds, elle n’eut pas honte de verser des larmes dans un festin ; tandis que sa douleur la rendait muette, son cœur se répandait en larmes pour baigner vos pieds ; elle les essuya de ses cheveux, les oignit de parfum, et ne cessa de les baiser (Lc 7 36). Qui donc a jamais entendu ni vu rien de pareil ? Et ce sacrifice vous plut tellement que vous l’avez préférée à ce pharisien qui passait pour un juste. Car vos paroles laissent entendre qu’entre la justification de Marie et la justice du pharisien, la distance est aussi grande qu’entre laver vos pieds dans l’eau ou les arroser de larmes, vous embrasser une fois au visage ou ne pas cesser de baiser vos pieds, oindre votre tête d’huile ou parfumer vos pieds du plus précieux onguent. Et Marie était d’autant préférée que le pharisien ne vous avait donné ni eau, ni baiser, ni huile. Oh ! quelle est grande, Seigneur, votre vertu, qu’elle est grande votre puissance, qui se manifeste surtout par votre miséricorde et votre pardon ! Je vois bien que vous ne mépriserez pas, ô Dieu, un cœur contrit et humilié. Je vais donc m’appliquer à vous apporter un tel cœur, il n’est plus nécessaire qu’on me le persuade. Et puisque vous êtes un Dieu qui sondez les reins et les cœurs (Ps 7 10), acceptez ce mien sacrifice ; s’il est misérable, vous qui le pouvez, rendez-le parfait, afin qu’il devienne un holocauste, tout embrasé des ardeurs de votre immense charité ; qu’il vous plaise, ou que du moins vous ne le méprisiez pas. Car, même alors, je sais que j’aurai trouvé grâces devant vous, et qu’aucun de vos saints, dans le ciel et sur la terre, ne songera à me mépriser.

 

AGISSEZ BÉNIGNEMENT AVEC SION,

SEIGNEUR, DANS VOTRE BIENVEILLANCE,

AFIN QUE SOIENT RECONSTRUITS LES MURS DE JÉRUSALEM

 

Parce qu’il est écrit qu’on devient saint avec les saints, innocent avec les innocents, élu avec les élus, pervers avec les pervers (Ps 18 [17] 26), je désire d’un grand désir que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité (1 Tm 2 4) : pour eux, c’est chose indispensable et pour moi un immense avantage, car leurs prières, leurs mérites, leurs exemples me réveilleraient et m’inciteraient chaque jour à progresser. Je vous supplie donc, Seigneur, bien que je sois pécheur, AGISSEZ BÉNIGNEMENT AVEC SION, AFIN QUE SOIENT RECONSTRUITS LES MURS DE JÉRUSALEM. Sion, c’est votre Église. Car Sion signifie sentinelle, et votre Église, remplie de la grâce de l’Esprit Saint, contemple la gloire de Dieu dans la mesure où le permet notre vie présente. D’où les mots de l’apôtre : Pour nous, le visage découvert, réfléchissant comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de splendeur en splendeur, comme par l’Esprit du Seigneur (2 Co 3 18).

Ô Seigneur Dieu, qu’elle est petite aujourd’hui votre Église ! Le monde entier s’effondre. Combien plus nombreux les infidèles que les chrétiens ! Et parmi les chrétiens, où sont-ils ceux qui, détachés des choses terrestres, contemplent la gloire du Seigneur ? Ils sont le petit nombre, comparés à ceux qui n’ont goût que pour les choses de la terre, qui se font un dieu de leur ventre, qui mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte (Ph 3 19). Agissez bénignement avec SION DANS VOTRE BIENVEILLANCE, pour que s’accroissent leur mérite et leur nombre. Abaissez les yeux du haut du ciel, agissez selon votre coutume avec bénignité, envoyez sur nous le feu de votre amour et consumez tous nos péchés. Agissez, Seigneur, avec bienveillance ; traitez-nous, non pas selon nos péchés et nos iniquités (Ps 103 [102] 10), mais selon votre grande miséricorde. Vous êtes, Seigneur, notre Père et notre Rédempteur ; notre paix et notre joie, notre espérance et notre salut. Tous attendent vos bienfaits pour les recueillir ; vous ouvrez votre main et tous les êtres sont comblés de vos bontés (Ps 145 [144] 15) ; vous détournez votre face, ils sont dans le trouble ; vous leur retirez le souffle, ils expirent et tombent en poussière. Envoyez votre Esprit et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre (Ps 104 [103] 27).

Seigneur, je vous conjure, de quelle utilité serait la damnation de tant de milliers d’hommes ? L’enfer se remplit, l’Église se vide chaque jour. Réveillez-vous, pourquoi dormez-vous, Seigneur ? réveillez-vous et ne nous repoussez pas à jamais (Ps 44 [43] 24). Agissez bénignement avec Sion dans votre bienveillance, AFIN QUE SOIENT RECONSTRUITS LES MURS DE JÉRUSALEM. Jérusalem, la vision de paix, qu’est-ce, sinon la cité sainte des bienheureux, notre mère ? (Ga 4 26.) Ses murs se sont écroulés quand Lucifer et ses anges furent précipités. Les hommes justes sont appelés à leur succéder. Agissez donc, Seigneur, bénignement avec Sion, afin que le nombre des élus soit accompli sans tarder, et que soient relevés et achevés les murs de Jérusalem, faits de pierres nouvelles, destinées à vous louer sans cesse et à vivre éternellement.

 

ALORS VOUS ACCUEILLEREZ LE SACRIFICE DE JUSTICE,

LES OBLATIONS ET LES HOLOCAUSTES,

ALORS ON PLACERA SUR VOTRE AUTEL DES VICTIMES

 

Quand vous aurez agi bénignement avec Sion dans votre bienveillance, VOUS ACCUEILLEREZ LE SACRIFICE DE JUSTICE. Vous l’accueillerez, c’est-à- dire vous le brûlerez du feu de votre amour. C’est ainsi que vous avez accueilli le sacrifice de Moïse et celui d’Élie (1 [3] R 18 38). Vous accueillez les sacrifices de justice chaque fois que vous comblez de votre grâce les âmes qui s’efforcent de vivre justement. De quoi servirait-il, ô Seigneur, de vous offrir des sacrifices si vous ne les acceptiez pas ? Et combien de sacrifices vous sont aujourd’hui offerts qui, loin de vous être agréables, vous sont odieux ! Nous offrons non plus des sacrifices de justice, mais des cérémonies, et c’est pourquoi elles ne sont pas acceptées. Où trouver maintenant la gloire des apôtres, le courage des martyrs, l’efficace des prêcheurs, la sainte simplicité des moines, les vertus et les œuvres des premiers chrétiens ? Vous accepterez les sacrifices de ceux que vous délivrerez par votre grâce et vos vertus. Agissant bénignement avec Sion dans votre bienveillance, vous accepterez le sacrifice de justice, car le peuple commencera de bien vivre, d’observer vos commandements, de faire la justice et votre bénédiction sera sur lui. Vous accueillerez les oblations des prêtres et des clercs quand, détachés des choses terrestres, ils se prépareront à une vie plus parfaite, et l’onction de votre bénédiction sera sur leur tête. Les holocaustes des religieux vous seront agréables quand, déposant la torpeur et la tiédeur, ils seront consumés tout entiers par l’incendie du divin amour. Les évêques et les prêcheurs placeront sur votre autel des victimes lorsque, consommés en toute vertu, et remplis de l’Esprit Saint, ils n’hésiteront pas à sacrifier leur vie pour leurs brebis. Car votre autel est-il autre chose, ô bon Jésus, que la croix sur laquelle vous vous êtes offert ? Et les victimes, que signifient-elles, sinon nos corps ? Ils placeront donc des victimes sur votre autel quand ils donneront leurs corps à la croix, c’est-à-dire aux tourments et à la mort, pour votre nom. Alors l’Église refleurira, elle dilatera ses frontières, votre louange résonnera jusqu’aux extrémités de la terre, votre joie et votre allégresse rempliront l’univers ; les saints exulteront dans la gloire, ils tressailliront de joie sur leur couche (Ps 149 5), en nous attendant dans la terre des vivants (Ps 27 [26] 13). Ô Seigneur, je vous supplie, que cet alors devienne pour moi un maintenant, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, accueillez-moi comme un sacrifice de justice, comme une offrande pure, comme un holocauste de vie religieuse, comme une victime pour votre CROIX, par laquelle j’obtienne de passer de cette vallée de misère à la gloire que vous avez préparée pour ceux qui vous aiment (1 Co 1 9). AMEN.

 

 

Jérôme SAVONAROLE.

 

Recueilli dans En prison : Dernière méditation,

textes traduits et présentés par le cardinal Journet,

Desclée De Brouwer, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

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