Aux martyrs
À Louis Liévin.
Le cadavre est à terre et l’idée est debout.
Victor HUGO.
PAUVRES martyrs, tombés pour une cause sainte,
Dormez paisiblement au fond du noir tombeau :
Comme le vent ranime une lueur éteinte,
Le temps rallumera bientôt votre flambeau.
Vous étiez animés par un espoir sublime,
Votre regard perçant plongeait dans l’avenir ;
Vous aviez du génie : on vous en fit un crime,
À peine commencés, vos jours ont dû finir.
Prophètes inspirés envoyés sur la terre,
Vous vouliez renverser le mal toujours plus fort ;
Quand la vérité parle, il faut la faire taire,
Et le meilleur silence est celui de la mort.
Au nom de la clarté vous luttiez contre l’ombre,
Au nom de l’avenir vous frappiez le passé ;
Vous avanciez toujours sans regarder le nombre,
Votre bras ne tomba que lorsqu’il fut lassé.
Renversés, désarmés, vous combattiez encore,
Ô grands hommes, combien vous avez dû souffrir,
En songeant que jamais vous ne verriez l’aurore,
Puisqu’il n’était pas l’heure et qu’il fallait mourir.
De tout songeur divin la foule est ennemie,
Par elle le Sauveur est toujours méconnu,
Comme le Christ cloué sur la croix d’infamie
On offrit aux affronts votre corps mis à nu ;
Puis l’on vous souffleta : toute l’ignoble race
Des lâches, des méchants, sur vos traits vint cracher,
Jusqu’à ce qu’on eût vu se crisper votre face
Et, courbé par la mort, votre front se pencher !
Dormez, dormez en paix, couchés dans votre tombe,
L’heure viendra pour vous, soyez-en convaincus :
C’est pour se relever que le bon droit succombe,
Vous êtes renversés, vous n’êtes pas vaincus.
L’avenir quelque jour ramassera l’épée
Que lâcha votre main froide en se détendant,
L’idée est invincible alors qu’elle est trempée
Dans le sang du héros mort en la défendant.
Dormez, dormez en paix au milieu des ruines,
Ne désespérez pas, dormez : sur votre front,
Les couronnes de fleurs aux couronnes d’épines,
Les lauriers aux cyprès un jour succéderont.
Et l’on vous bénira, soldats des nobles causes,
Et l’on répétera votre nom immortel ;
Les supplices toujours font les apothéoses,
L’échafaud du martyr se transforme en autel.
Le germe n’est point mort, votre œuvre continue :
Dormez, le jour viendra, – c’est peut-être demain,
Et quand l’éclair enfin déchirera la nue,
Morts, vous apparaîtrez une palme à la main.
Votre gloire sera plus pure et plus limpide
Que si vous aviez pu triompher sans souffrir :
Le sol où le progrès se fait le plus rapide
Est le sol arrosé par le sang du martyr !
Pauvres martyrs tombés pour une cause sainte,
Dormez paisiblement au fond du noir tombeau ;
Comme le vent ranime une lueur éteinte,
Le temps rallumera bientôt votre flambeau.
Henri SECOND.
Paru dans La Sylphide en 1901.