La grisette
Bonjour, la belle enfant, si vive et si rosée,
Bijou du peuple, allons, fais gazouiller ta voix ;
Pauvrette des greniers, auprès du ciel posée,
J’aime à te voir penchée à ta simple croisée,
Vierge de Raphaël, dans un cadre de bois.
Sous les toits, ô ma toute belle,
Tu niches comme l’hirondelle.
Svelte fille, aux jeunes flatteurs,
Aux prunelles illuminées,
Comme les fleurs des Pyrénées,
Tu ne vis que sur les hauteurs.
Dans ta chambre aux murs blancs et nus, point de richesse
Mais un joyeux soleil qui dore tes lambris,
Un tout petit miroir qui t’appelle sans cesse :
Ce miroir-là vaut bien des glaces de duchesse,
C’est un humble ruisseau qui reflète un beau lis.
Ta fenêtre est comme étoilée
De jacinthe et de giroflée ;
Tout auprès disant ta chanson,
Tu travailles avec courage ;
J’entends mon oiseau qui ramage
Caché derrière le buisson.
Ma petite princesse à la robe de toile,
Le passant t’aperçoit rayonnant près des toits ;
Mais que ton doux éclat sous la pudeur se voile ;
Car si l’étoile brille, elle tombe parfois !
Dès l’aube, active jeune fille,
Tu chantes en tirant l’aiguille,
C’est le jour, se dit-on surpris.
L’ouvrier comme le poète
Reprend sa tâche ; la grisette
Est l’alouette de Paris.
Le dimanche est ton jour de parure splendide :
Pour une grande dame on te prend quelquefois.
Quand toute la semaine on te vit chrysalide,
Dans tes habits nouveaux tu pars folle et rapide,
Et, papillon coquet, tu voles dans nos bois.
Tu cours aux bals brillants, ouragans populaires,
Où le rire et les chants tonnent avec fracas,
Où le cœur dilaté bondit comme les pas,
Où trône quelque reine, aux pompes mensongères,
Au sceptre de clinquant qui reluit sans peser,
Au front sans diadème, où l’on pose un baiser ;
À la bourse, à la danse et la vertu légères.
Oh ! fuis les bals ! le vice y darde son poison,
Y rampe sous les pieds, siffle dans la chanson,
Et la pudeur s’en va comme un voile qui tombe.
Retourne à la mansarde où l’on te voit briller,
Sois chaste, et, si l’on monte à ce haut colombier,
Que l’on trouve en entrant une blanche colombe.
Fuis les amants dorés, leurs joyaux radieux ;
Ne porte de brillants qu’au fond de tes beaux yeux ;
Travaille ; le travail est l’ange qui te garde !
Préfère un époux simple à quelque vil trésor ;
Un cœur tout plein d’amour à des coffres pleins d’or ;
À la honte au boudoir, l’honneur dans la mansarde.
Riche de ses deux bras, de ses travaux hardis.
Un ouvrier t’a dit : « Voulez-vous, jeune femme,
Ma main rude et loyale, et mon nom et mon âme ?
J’ai plus d’amour, allez, que vos beaux étourdis :
Moi, brusque enfant du peuple, auprès de vous je tremble,
Mon teint bronzé rougit ; votre escalier me semble
L’échelle de Jacob, qui mène au paradis.
Oh ! dans sa large main laisse aller ta main blanche ;
Gagnez en travaillant la robe du dimanche
Et le feu de l’hiver. Tous deux bénis du ciel,
Vous pourrez conquérir votre pain dans vos veilles ;
Les maisons d’ouvriers sont des ruches d’abeilles :
C’est avec le travail qu’on les remplit de miel.
Anaïs SÉGALAS.
Recueilli dans Femmes-poètes de la France,
anthologie par H. Blanvalet, 1856.