La jeune fille mourante
Comment me délivrer de cette fièvre ardente ?
Mon sang court plus rapide, et ma main est brûlante.
Je souffre. Dites-moi, je suis mal ? n’est-ce pas ?
Souvent, le front penché, l’œil baissé vers la terre,
Vous rêvez tristement ; puis d’un air de mystère
J’entends parler bien bas.
Et si je fais un bruit léger, si je respire,
Des larmes dans les yeux on essaie un sourire.
On se rend bien joyeux ; mais j’entends soupirer ;
Sur les fronts tout brillants passe une idée amère,
Et ma petite sœur, qui voit pleurer ma mère.
Près du lit vient pleurer.
Ces larmes me l’ont dit, votre secret terrible :
Je vais mourir !... Déjà ! mourir !... Oh ! c’est horrible !
Mon Dieu, peur fuir la mort n’est-il aucun moyen ?
Quoi ! dans un jour peut-être, immobile et glacée !
Aujourd’hui l’avenir, le monde, la pensée.
Et puis, demain.... plus rien.
La robe que j’avais dans ma dernière fête
Est fraîche encor ; les nœuds attachés sur ma tête
Ont gardé ces couleurs et ces reflets changeants
Dont j’admirais l’éclat dans une folle extase ;
Et moi, je vivrai moins que ces tissus de gaze
Et ces légers rubans !
Comme une frêle plante, un souffle m’a brisée,
Vous, mes sœurs, vous avez cette teinte rosée
De jeunesse et de vie. Oh ! votre sort est beau !
Et j’ai les yeux ternis, je suis pâle, abattue :
On dirait à me voir une blanche statue
Pour orner un tombeau.
On m’admirait pourtant, moi, fantôme, ombre vaine ;
La foule m’entourait comme une jeune reine ;
Mon pouvoir tout nouveau semblait encor bien long ;
Quelques bijoux formaient ma parure suprême,
Et puis mes dix-huit ans, comme un beau diadème,
Rayonnaient sur mon front.
À vous encor, mes sœurs, cet avenir qui brille ;
À vous tous ces plaisirs bruyants de jeune fille,
Puis cet anneau d’hymen, ce mot dit en tremblant,
Et ces grains d’orangers, couronne virginale :
Moi, pour voile de noce et robe nuptiale,
J’aurai mon linceul blanc ;
Lugubre vêtement jeté sous une pierre
Qui tient ensevelis dans une étroite bière
Bien des illusions, bien du bonheur rêvé,
Qui tombe par lambeaux sous la terre jalouse,
Et que les battements d’un cœur de jeune épouse
N’ont jamais soulevé.
Moi, dans un long cercueil, étendue, insensible,
Morte ! – quoi ! je mourrais !... Oh ! non, c’est impossible.
Quand on a devant soi tout un large avenir,
Quand les jours sont joyeux, quand la vie est légère,
Quand on a dix-huit ans, n’est-ce pas ? bonne mère.
On ne peut pas mourir.
Je veux jouir encor de toute la nature,
De la fleur dans les prés, du ruisseau qui murmure,
Du ciel bleu, de l’oiseau chantant sur l’arbre vert ;
Je veux aimer la vie, et de toute mon âme,
La voir dans le soleil briller en jets de flamme,
La respirer dans l’air....
Le lendemain la cloche appelait aux prières ;
Des cierges éclairaient de leurs pâles lumières
La nef et l’autel saint. Quelques prêtres en deuil
Disaient le chant des morts, et, sous les voûtes sombres,
Des vierges à genoux, blanches comme des ombres,
Pleuraient près d’un cercueil.
Anaïs SÉGALAS.
Recueilli dans Femmes-poètes de la France,
anthologie par H. Blanvalet, 1856.