À une tête de mort 1
Squelette, qu’as-tu fait de l’âme ?
Foyer, qu’as-tu fait de ta flamme ?
Cage muette, qu’as-tu fait
De ton bel oiseau qui chantait ?
Volcan, qu’as-tu fait de ta lave ?
Qu’as-tu fait de ton maître, esclave ?
Comme une souveraine avec toute sa cour
Une âme t’habitait ; son cortège d’amour,
D’espoir, chantait, pleurait, et peuplait son domaine :
– Tu n’es plus qu’un désert ; le lézard sous ton front
S’établit, l’âme a fui, le frète moucheron
S’introduit librement dans son château de reine.
Étais-tu femme et belle avec de longs cils noirs,
Des fleurs dans les cheveux, souriant aux miroirs ;
Grand seigneur, dépassant les têtes de la foule ;
Jeune homme, et délirant pour des yeux bruns ou bleus ?
On ne sait, tous les morts se ressemblent entre eux ;
La vie a cent aspects, le néant n’a qu’un moule.
Débris dans les débris, crène blanc et hideux,
Édifice, montrant ta charpente à nos yeux,
Miroir brisé de l’âme, où rien ne se reflète ;
Le passant qui te voit sans lèvres, sans regard,
Sans chair, demande : Où donc est l’homme ? un peu plus tard
Il va se demander : Où donc est le squelette ?
C’est pitié ! reste là, regarde les passants :
Oh ! reste ! dis néant aux heureux, aux puissants...
Celui qui t’exposa dans son joyeux domaine,
A pensé que tes os parleraient haut et fort ;
Il vient d’écrire avec une tête de mort
Son traité sur l’orgueil et la misère humaine.
Ton âme a fui là-haut, vers la cité des cieux,
Aux mille portes d’or, aux escaliers de feux :
Elle est là, contemplant, dans une sainte extase,
Le soleil dans sa force et Dieu dans sa splendeur.
Toi, tu n’es que ruine et cendre, le Seigneur
Quand il a pris l’encens laisse tomber le vase.
Anaïs SÉGALAS.
Paru dans les Annales romantiques en 1835.
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1. Cette tête de mort est exposée au milieu des ruines
du vieux château du Vivier, dans le parc de M. Parquin.