Le mariage

 

ÉPÎTRE À UN AMI

 

 

Un bon mariage c’est une doulce

société de vie, pleine de constance,

de fiance, et d’un nombre infiny

d’utiles et solides offices, affections,

et obligations mutuelles.

                                    MONTAIGNE.

 

 

SINCÈRE adorateur de la sagesse antique,

Cœur fidèle aux vertus du foyer domestique,

Qui cultivez encore avec un soin pieux

Cette vieille amitié si chère à nos aïeux ;

Esprit assez puissant pour avoir, sans scrupule,

Conservé de l’honneur le noble ridicule,

Vous voulez donc, sauvant la pudeur du tombeau,

De l’amour conjugal rallumer le flambeau,

Et, par la sainteté réfutant le blasphème,

Pour prouver la vertu, montrer la vertu même ;

Et votre amitié vient consulter en secret

Ma Muse, humble matrone au sourire discret,

Pour que sa faible voix, mais tendrement austère,

D’une chaste union vous dise le mystère...

Non, votre cœur du mien n’a pas trop présumé ;

Et, pour bien être instruit, s’il suffit d’être aimé,

Jamais disciple admis au secret de son maître

Ne sera plus savant que vous ne devez l’être.

Mais que puis-je vous dire, et par où commencer,

Que votre jugement, prompt à me devancer,

Ne vienne, avec les traits de l’âme qui l’inspire,

Graver dans votre esprit ce chue je veux écrire ?

 

Les dons de la fortune et l’éclat de l’honneur,

Qu’est-ce que tout cela ? Des moyens de bonheur

Subordonnés toujours à l’amour légitime ;

Des préjugés heureux proposés à l’estime :

Ami, vous le savez, et ce n’est jamais vous

Qu’on verra marchander le nom sacré d’époux.

 

De l’esprit et du cœur fraternelle parure,

La fortune embellit les dons de la nature ;

C’est un relief heureux que Dieu donne au talent ;

Mais c’est un pilori pour le vice opulent,

C’est sur un piédestal la sottise exhaussée,

Dans l’or et le velours c’est l’ordure enchâssée.

Sans les vertus qui font sa légitimité,

La richesse est un leurre, ainsi que la beauté :

La femme que brocante une avarice impie

Du masque de Vénus déguise une harpie.

Digne marché, sans doute, où, sous l’abri des lois,

La dupe et le voleur sort trompés à la fois !

Oui, le vice doré, courtisant l’avarice,

Marchande en même temps son crime et son supplice ;

Pour eux le mariage est un anneau de fer,

Qui va de deux damnés éterniser l’enfer.

On peut tromper les lois, mais jamais la nature :

Tout bonheur profané se transforme en torture,

Et des cœurs sans amour l’avare accouplement

N’enfante que la haine et son affreux tourment.

 

Songeant toujours à Dieu dans ses rêves étranges,

La femme se souvient qu’elle est la sœur des anges ;

Ici-bas, comme au ciel, il lui faut des amours

Qui d’immortalité l’entretiennent toujours.

Pour dominer son âme afin qu’elle nous aime,

Il faut être plus pur et plus grand qu’elle-même,

Ou, du moins, à son rêve il faut toujours laisser

L’espace pour grandir ; mais sans nous surpasser.

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Amour ! secret divin que la foi nous révèle,

Pressentiment certain d’une vie immortelle,

Crépuscule doré d’un soleil à venir

Et d’un jour qui n’est plus lumineux souvenir ;

Éprouver ta chaleur, c’est vivre ; te connaître,

C’est être homme, et te voir, c’est être Dieu peut-être.

Oui, te voir à jamais, comprendre ta beauté,

C’est le ciel : en jouir, voilà l’éternité ;

Car tu n’es passager que dans nos tristes songes,

Et même leur pinceau coloré de mensonges

Qui t’ébauche au hasard sur le tissu des jours,

Nomme encore immortels ses fantômes d’amour :

Tant l’âme que déjà ta puissance a ravie

Sent quelque chose en toi de plus fort que la vie !

Le Dieu qui sait le nom des étoiles du soir,

Et le rang des soleils, se penchera pour voir

Une larme d’amour qui descend pure et lente

Sur la simple rougeur d’une joue innocente,

t prêtera l’oreille au dernier des humains

Qui lui dira « Je t’aime » en joignant les deux mains.

Qu’un homme ait réuni tous les biens de la terre,

Les honneurs de la paix, les palmes de la guerre ;

Qu’il ait dans l’océan d’un avide trésor

Vu les feux du soleil couler en fleuves d’or,

Et que Dieu par justice, ou l’enfer par envie,

Des seuls biens de l’amour ait dépouillé sa vie ;

Cet homme, de la mort esclave couronné,

Est de tous les mortels le plus infortuné.

Eh bien ! ce feu sacré, cette âme de notre âme,

Dieu l’envoie ici-bas sous les traits de la femme ;

Il épuise sa vie et sa divinité

Pour grandir les honneurs de la maternité.

La femme vous convie à cette gloire insigne ;

Soyez donc son époux, si vous en êtes digne.

 

Ami, mon cœur vous parle et ne se trompe en rien ;

Ce n’est pas le poète ici, c’est le chrétien

Qui vous montre Dieu même inclinant son visage

Pour sourire aux serments du premier mariage,

Et de son souffle pur allumant le flambeau

Qui des sociétés éclaire le berceau !

Lorsqu’il soumit les sens à l’empire de l’âme,

Le Christ inaugura le règne de la femme,

Et des petits enfants Dieu même étant jaloux,

Descendis pour dormir sur tes chastes genoux,

Ô reine de l’amour, nom bien-aimé, Marie,

Du cœur qui ne croit plus dernière idolâtrie !

Jésus du couple humain bénissait les serments,

Lorsque, pour compléter les divins sacrements

Et préparer des fruits à la terre promise,

Sous les traits de l’épouse il montra son Église.

Ô sublime pensée, ô magnifique espoir

Qui du plus doux plaisir fait un chaste devoir !

Religion si belle, ingénieuse mère,

Que du doute à mon cœur tu rends la gêne amère ?

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Non, quand Dieu n’est plus là, le cœur doit se fermer ;

Et lorsqu’on ne croit plus, on ne peut plus aimer.

Le mariage est donc une sainte alliance ;

C’est un acte de foi, d’amour et d’espérance,

Si ce n’est le trafic de l’âme et de la chair.

C’est la vie ou la mort ; c’est le ciel ou l’enfer !

 

Frère, de votre amour si telle est la pensée,

Vous méritez le cœur de votre fiancée.

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De l’amour des Chrétiens, telle est la sainteté ;

Son second caractère est la fidélité.

Du Dieu qui nous bénit la tendresse est jalouse,

Et, comme il n’a qu’un cœur, l’homme n’a qu’une épouse.

Nous devons donc l’aimer comme Dieu nous aima,

Quand d’un souffle d’amour sa bouche nous forma.

Puisqu’il chérit toujours l’âme qu’il a choisie,

Devant lui le divorce est une apostasie.

Quand la virginité pourra se réparer,

Quand une âme en deux parts pourra se séparer,

Quand l’enfant, sans pleurer, pourra changer de mère,

Le divorce peut-être absoudra l’adultère.

Laissons à l’animal ces attraits de hasard,

Et vers l’éternité tournons notre regard.

Non, ces erreurs des sens dont la débauche abuse

Jamais dans notre loi ne trouveront d’excuse.

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Si l’amour conjugal cesse d’être immortel,

Il faut lui refuser les honneurs de l’autel,

Et la pudeur bientôt, justement courroucée,

Ne lui laissera plus profaner sa pensée.

D’être compris de vous, cher Ami, je suis sûr,

Car votre âme est loyale et votre cœur est pur,

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Et vous ne pensez pas, avec votre belle âme,

Qu’on peut prendre à l’essai la pudeur d’une femme.

Vous sentez qu’un bon cœur se donne pour toujours,

Et laissant voltiger les coupables amours,

Vous enchaînez l’espoir de votre âme charmée

À l’éternel bonheur de votre bien-aimée.

 

Puis, tout entier sans doute à des devoirs si doux,

Vous devinez déjà tous les soins d’un époux,

Quelle émulation dans la délicatesse,

Quel mélange amoureux d’exquise politesse,

D’aimable complaisance et d’abandon joyeux,

Vous rendra tous les jours plus charmant à ses yeux.

L’estime d’une épouse est comme une carrière

Où ne plus avancer c’est marcher en arrière ;

Vous le savez, Ami, et vous ne voulez pas,

Conquérant paresseux, revenir sur vos pas.

C’est par le mouvement que l’âme est immortelle ;

Quant son travail s’endort, l’amour dort avec elle,

Et bientôt, indocile aux regrets superflus,

Quand il a trop dormi ne réveille plus.

Du bonheur conjugal vous craindrez l’habitude,

Et de son doux progrès vous ferez votre étude.

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Pourtant vous n’irez pas, esclave efféminé,

Dans des soins non virils dormir emprisonné :

L’homme n’est plus aimé dès qu’il est ridicule :

La vengeance d’Omphale avilissait Hercule.

De sa femme un époux doit être tout l’orgueil,

Et de sa dignité la mollesse est l’écueil.

Ne l’oublions jamais, la femme est notre égale,

Et Dieu ne forme point la chaîne conjugale

Pour peser seulement sur les plus faibles bras ;

La femme se dévoue, elle n’obéit pas.

Tout abus de la force avec elle est un crime,

Et lorsqu’on la contraint, lâchement on l’opprime.

Si son âme a besoin de se laisse guider,

Si son cœur confiant aime à nous seconder,

Elle cède à l’attrait qui doucement la mène,

Aimant qu’on la séduise, et non pas qu’on l’enchaîne ;

Car sa bonté, soumise et fière tour à tour,

N’est que la liberté conduite par l’amour.

 

Vous n’abuserez pas de cet amour sublime,

Et de cette bonté souvent trop magnanime

Vous n’emprunterez pas un prétexte moqueur

D’être moins attentif à ménager son cœur.

Dans l’espoir d’un pardon que vous croiriez facile

Vous n’offenserez point sa tendresse docile ;

Car plus vous lui devez, plus elle attend de vous,

Et c’est de vos vertus que son cœur est jaloux :

Plus sa délicatesse est noblement exquise,

Moins elle peut aimer celui qu’elle méprise.

Or, l’estime qu’on perd commence le mépris,

Et d’un pardon, toujours, moins d’estime est le prix.

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Loin de nous, noble Ami, cette triste pensée.

Bientôt, prenant la main de votre fiancée,

Vous allez la conduire au pied cet autel

Où l’amour se transforme et devient immortel.

Le prêtre, en prononçant les paroles prescrites,

De la sainte alliance accomplira les rites ;

Et, dans l’émotion d’un saint recueillement,

Le temple écoutera votre double serment.

L’Église évoquera l’esprit de ses Prophètes,

Et sous un même voile unira vos deux têtes ;

Premier lit nuptial, prémices d’union,

Et des esprits en Dieu chaste communion.

Puis du Verbe immortel, dans son Eucharistie,

S’offrira pour vous deux la pure et blanche hostie ;

Dieu même, se donnant comme un gage d’amour,

Réunira vos cœurs devant lui sans retour.

 

De la Religion que la voix a de charmes !

Sur le marbre sacré je vois couler vos larmes.

Oh ! mille fois malheur au cœur qui ne croit pas,

Et dont tout l’avenir se termine au trépas !

Malheur à qui n’a pas pour la sainte espérance

Gardé dansa mémoire un souvenir d’enfance ;

À qui le doux besoin de croire et d’adorer

Ne révéla jamais la douceur de pleurer !

Ô culte environné de grâces infinies,

Le silence éloquent de tes cérémonies

Et le recueillement de tes divins autels

Parlent mieux à nos cœurs que l’orgueil des mortels !

Le veuvage de l’âme enfanta le blasphème,

Et l’on ne doute plus du moment où l’on aime.

 

Ami, soyez heureux : vous aimez, vous croyez,

Et vous espérez tout du Dieu que vous priez.

Eh bien, puissent mes vœux, unis avec les vôtres,

Puissent la foi des Saints, la force des Apôtres,

Et l’amour couronné des plus chastes époux

Protéger les enfants qui vont naître de vous !

Que votre inaltérable et sincère tendresse

N’ait point ces passions la dangereuse ivresse ;

Mais qu’elle ait d’un beau jour le calme et la clarté

Rayonnante d’azur et de sérénité !

 

De deux époux chrétiens que l’alliance est belle !

L’ange de la vertu les couvrant de son aile,

Les emporte abrités contre son cœur ami,

Comme un couple d’enfants par l’orage endormi :

Leurs bouches à la fois ne font qu’une prière,

Leurs regards sont unis dans la même lumière ;

Ils forment un seul être, exilé pour un jour,

Dont l’homme est la pensée, et la femme l’amour :

Dans les chemins mauvais la foi qui les rassemble

Du foyer paternel les entretient ensemble,

Et du suprême espoir le céleste flambeau

Les accompagne encore au delà du tombeau.

 

Mais l’heure sainte approche, et votre âme calmée

Frémit au bruit des pas de votre bien-aimée ;

Fuyez, songes affreux, de mon esprit troublé :

Quand la femme paraît, le monde est consolé.

 

« Montre-moi de tes yeux la candeur virginale

« Comme un premier réveil de l’aube matinale :

« Tes regards sont à moi comme aux fleurs le sommeil.

« Comme au printemps l’amour, comme aux nuit le sommeil.

« Oh ! vois-tu, douce enfant, Dieu, la première cause,

« Pour une fin d’amour a créé toute chose ;

« Et toute âme, ici-bas, inquiète d’ennui,

« Regarde son bonheur et tend les bras vers lui :

« Le feu cherche le ciel, l’eau court dans les vallées,

« Et l’amour réunit les âmes isolées ;

« Les fleurs, filles des champs, font monter vers le ciel

« L’encens de leurs amours dans l’arôme de miel ;

« Les champs ont des ruisseaux les caresses fécondes ;

« Les lacs ont le soleil qui, tiédissant leurs ondes,

« Argente de poissons le cristal amoureux ;

« Moi, j’ai tes doux regards, et je suis plus heureux.

« La fortune a de l’or pour les grands qu’elle enchaîne,

« Moi j’aime mieux les nœuds tes tresses d’ébène ;

« Si l’onde a du corail dans ses gouffres amers,

« Ta lèvre vaut bien mieux que le corail des mers.

« Dieu s’aime et se complaît dans la beauté du monde,

« Le ciel doit être heureux du printemps qu’il féconde ;

« Vous êtes ma beauté, mon printemps, mon bonheur

« Je suis votre pensée et vous êtes mon cœur. »

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Pardon, jeunes époux, si mon rêve mystique

De Salomon pour vous imite le cantique :

Je n’ai vu nulle part, avec plus de splendeur

Rayonner de tendresse un rêve de bonheur.

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Mais l’autel vous demande, et la famille est prête ;

Vos pères sont parés de leurs habits de fête ;

Vos bras, comme vos cœurs pour jamais sont unis ;

De la terre et du ciel, enfants, soyez bénis !

 

 

 

Onésime SEURE.

 

Paru dans le Recueil de l’Académie

des jeux floraux en 1852.

 

 

 

 

 

 

 

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