La chanson d’un pauvre
À peine réveillé de mes songes d’hiver,
Ô forêt, j’ai foulé tes premières rosées :
J’y promène mon front, clair des baisers de l’air,
Où des lèvres d’enfant semblent s’être posées.
Loin d’un exil sans fin, et fait de tant de nuits !
Ce sont des vents légers qui soufflent de l’aurore.
Que la ville est donc loin de mes yeux éblouis !
Que n’est-elle plus vaine et plus lointaine encore !
Hélas ! tu n’oses croire à tout ce que tu vois,
Mon cœur déshérité, fait à trop de misères !
Est-ce pour moi, mon Dieu, l’haleine des grands bois ?
Pour moi, toutes ces fleurs ? Pour moi, ces primevères ?
Je n’ose vous cueillir fleur trop frêle, ma sœur :
Embaumez ce vallon qui m’a rendu mon âme :
Car me voilà troublé devant votre douceur,
Comme un adolescent sous les yeux d’une femme.
Elle chante, pourtant, la Voix, la bonne voix :
« Je suscite les fleurs pour que tu les effeuilles :
Retrouve en leur baiser ton baiser d’autrefois,
Et ceins un front fiévreux de la fraîcheur des feuilles.
Cœur frère du matin, regarde le matin ! »
Et mon cœur trop ailé pleure ses vaines ailes :
« Merci d’avoir paré les berges du chemin :
Mais que je me sens seul parmi ces fleurs nouvelles ! »
Fernand SÉVERIN.
Recueilli dans La poésie francophone
de Belgique 1804-1884,
par Liliane Wouters et Alain Bosquet,
Éditions Traces, 1985.