La joie des humbles

 

 

Mon cœur est éperdu des étangs et des bois,

Comme s’il les voyait pour la première fois !

Mais je me sens troublé d’une étrange science,

Et mon cœur est pensif, malgré ce don d’enfance.

 

Et j’évoque un tableau de tout ce que je suis !

D’humbles gens de jadis, pâles de mes ennuis,

Et sans plus d’amertume en leur âme docile,

Revoient enfin les champs, aux portes de leur ville.

La nature est meilleure à qui l’a mérité !

Ils vont, comme en un songe, en sa sérénité,

Et les vallons, pour eux, sont pleins de primevères.

Après cet hiver morne en d’obscures misères,

Oh ! l’haleine des fleurs au large des grands bois !

 

Pense à tes nuits, mon cœur, pense aux jours d’autrefois :

Ils ont fui, comme toi, la nuit de leur jeunesse,

Et c’est la même joie et la même tristesse...

Tant ils osent peu croire à ce bonheur nouveau !

Tant le pur et le clair baiser du renouveau

Ne leur semble toujours qu’une grâce accordée !

Voilà bien la campagne en voile d’accordée,

Mais dans leur horizon se dressera toujours

Le jaloux souvenir des clochers et des tours.

 

Ah ! des fleurs, pour ces fronts que flétrirent mes fièvres,

Les plus fraîches des fleurs, comme de jeunes lèvres !

Tous ces pauvres d’esprit sont bien selon mon cœur !

Car j’ai souffert comme eux, et vous savez, Seigneur,

Si j’oubliai jamais mon humble destinée

Dans la félicité que vous m’avez donnée.

 

 

 

 

Fernand SÉVERIN.

 

Recueilli dans La poésie francophone

de Belgique 1804-1884,

par Liliane Wouters et Alain Bosquet,

Éditions Traces, 1985.