Recours au poème

 

PRÉLUDE

 

 

L’été va-t-il mourir et sommes-nous si vieux ?

Voici qu’un vent plus frais ternit l’azur plus tendre

Et fait crouler le ciel en velours pluvieux.

 

Voici les soirs plus courts, et l’horizon de cendre,

Et le couchant qui saigne, et les arbres blessés,

Et les parfums moisis et les pleurs de septembre.

 

Un cri très lent d’oiseau plaint des nids délaissés.

Une rose au jardin, humide et seule, ploie

Vers sa prochaine mort ses pétales glacés.

 

Suis-je déjà si vieux qu’il faille pour ma joie

Les grands jours de juillet mal vaincus par les nuits,

Lacs d’éther immobile où l’âme ivre se noie,

 

Luxe de verts profonds, abondance de fruits,

Et ces feux sur les flots dont l’œil sanglant s’étonne,

Et la bouche qui fond dans l’eau fraîche du puits ?

 

Oui, j’ai peur maintenant des douceurs de l’automne.

Ors multiples, reflets subtils et ciels si beaux,

Fuite immense d’oiseaux dont le matin frissonne,

 

Soirs fumeux déchirés par le cri des corbeaux,

Rien ne reste à mes yeux de vos grâces discrètes

Qu’un désastre de fleurs sur la paix des tombeaux...

 

Voici venir les joins ombreux, les nuits parfaites

Et le cruel essaim des malices du nord.

Mais to cœur avait soif de ces justes défaites.

 

N’appelle pas malheur un mal qui te rend fort :

L’homme, soit qu’il agisse, ou qu’il chante, ou qu’il pense

N’enfante sa grandeur qu’à l’ombre de la mort.

 

– Ah ! Seigneur, vous avez voulu cette souffrance

Qui monte vers nos fronts comme l’eau de la mer.

Accordez-nous la grâce et la suprême chance

 

De découvrir la perle, au fond du gouffre amer.

Oui, qu’importent la nuit, l’exil, la solitude,

Si l’étoile de Dieu surgit au ciel d’hiver ?

 

La saison du poème est souvent sombre et rude :

Laisse le vent du pôle approfondir l’azur ;

Accueille la douleur, le silence et l’étude,

 

Et que ton âme enfin soupire le chant pur !

 

 

 

 

 

Pierre-Henri SIMON, oflag VI D.

 

Paru dans « Cahier des prisonniers »,

Les Cahiers du Rhône, 1943.