Rose et petite
Que me veux-tu, petite,
Petite aux yeux d’azur ?
Pourquoi courir si vite
Vers le lac au flot pur ?
– Monsieur, c’est une rose,
Rose jolie à voir
Sur ce lac, et je n’ose
Me pencher pour l’avoir.
–Tu veux que je me penche
Pour cueillir cette fleur ?
Pourquoi ton âme blanche
Veut-elle son malheur ?
Sur le sein de ta mère,
Petite, tu diras
Ce soir dans ta prière :
« Point de mal me feras. »
– Mais non, monsieur, les roses
Ne peuvent pas souffrir !
– Enfant, les belles choses
Sont faites pour gémir :
La rose a sa souffrance,
Que le Seigneur sait voir :
Elle pleure en silence,
Non le jour, mais le soir.
N’augmente pas ses larmes,
Petite, et va prier.
Si la rose a des charmes,
Oh ! laisse-la briller.
Elle aime aussi la terre,
Le lac bleu, son miroir.
Oh ! que dirait ta mère
Si tu mourais ce soir !
Eh bien, douleur pareille
Existerait aux cieux
Si la rose vermeille
Expirait en ces lieux :
Et l’oiseau du bocage
À ton âme dirait
Dans son petit langage :
« Oh ! qu’en avez-vous fait ? »
Il est un Dieu, ma fille,
Pour l’arbre et l’arbrisseau,
Et pour la fleur qui brille,
Et pour le passereau ;
Et ce Dieu, ma chérie,
Préfère quelquefois
La fleur de la prairie
Au chêne altier des bois.
Il t’a fait, ma petite,
Le plus charmant chemin,
Où le bonheur t’invite
En te tendant la main.
Il protège la rose
D’un regard plein d’amour,
Qui sur elle se pose
Comme un rayon du jour.
Laisse-la donc sourire
Aux oiseaux, ses amis,
À l’onde qui l’admire
Et la porte en ses plis :
Retourne vers ta mère
Et dis du fond du cœur :
« Dieu m’aimera, j’espère,
Comme il aime sa fleur.
« Plus tard, je serai belle,
Je serai rose aussi ;
Il me parlera d’elle,
Il me dira : – Merci !
Toi qui, par bonté d’âme,
Ne flétris point ma fleur,
Je te sauverai, femme,
D’un semblable malheur ! »
Dans son nid la petite,
Comme les anges font,
Avec de l’eau bénite
Signa son petit front.
Dieu protégea la rose,
Et l’enfant au cœur pur :
Elle eut un rêve rose.
Puis un réveil d’azur.
Adolphe SIRET.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.