La tête de Robespierre
Sur les rayons de l’un des musées innombrables,
On peut voir une belle collection de têtes,
Têtes de grands scélérats, d’assassins et de brigands,
De ceux qui faisaient peur aux gens.
Leurs visages de cire chamarrés
Vous regardent de derrière leur vitrine comme s’ils étaient vivants.
Les yeux brillants, les fronts peints,
Tout ça sent le renfermé et le froid des cercueils.
Mais, entre toutes ces têtes de chauves ou de chevelus,
De vieillards sans moustache et de femmes barbues,
Une tête repose qu’on dirait importée d’un pays étranger,
Une tête plus marquée que les autres.
Pommettes et mâchoires ont été cruellement brisées.
Mais, perçants, intrépides, les yeux sont ouverts,
Et l’on y surprend un calme inattendu.
Étonnés, ils regardent, ayant connu un autre monde...
Non, tu n’es pas un brigand, ton rêve
D’un nouvel ordre dans les destins a fait saigner ton cœur,
Et ce cœur fut empoisonné par la simplicité terrible
Et impitoyable de ta monstrueuse rêverie.
Mais la force de cette rêverie monstrueuse,
Se saisissant du cœur d’un autre,
A commandé, le jour venu, que tu périsses à ton tour.
Constantin SLOUTCHEVSKI.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.