Paysage alpestre

 

 

Oh ! lorsque au sein des nuits, quand tout dort sur la terre,

De vallon en vallon, voyageur solitaire,

À travers des sentiers inconnus, périlleux,

Lentement je gravis les sommets sourcilleux ;

Quand je prête au silence une oreille attentive,

Silence qu’interrompt la chouette plaintive ;

Quand le vieux bûcheron, de ses coups mesurés,

Guide, sur les hauteurs, mes pas mal assurés ;

De leurs feux vacillants quand les étoiles brillent,

Sur les glaciers blanchis quand leurs reflets scintillent,

D’une neige éternelle éternels diamants,

– Comme on pare un roi mort de tristes ornements : –

Dans mon audace alors, moi, faible créature,

J’ose adresser mes vœux au Dieu de la nature.

Bientôt anéanti devant sa majesté,

D’un indiscret élan je dompte la fierté.

 

Mais la scène a changé, spectacle magnifique !

Déjà depuis longtemps, l’astre éclatant du jour

Caresse, anime, étreint de son regard d’amour

Les doux balancements du flot adriatique.

Dans son obscurité ce mont encor plongé

Ne jouit qu’à regret d’un sommeil prolongé,

Quand l’astre lentement vers les sommets s’avance.

Écoutez !... Le tonnerre annonce sa présence,

Et du fond des ravins mille échos à la fois

Répètent les éclats de sa puissante voix.

Le jour paraît enfin ; il calme les orages,

Et déjà, sous nos pieds, voyez-vous les nuages

S’élever – du vallon quittant les profondeurs –

Et retomber fondus en brillantes vapeurs ?

Tout à coup du soleil les rayons se divisent

Et, se heurtant entre eux, contre les rocs se brisent ;

Ils offrent à nos yeux le prestige nouveau

D’innombrables soleils tourbillonnant sur l’eau,

Puis glissant dans le creux du vieux torrent qui gronde,

Pour se perdre avec lui dans la grotte profonde

Qui, fière du tribut de ses flots écumeux,

Du nouvel arc-en-ciel éteint les mille feux.

Oh ! comme tout se meut sur les monts, dans l’abîme !

En ces sauvages lieux, tout respire et s’anime :

On dirait que le monde, après un long repos,

Une seconde fois, s’élance du chaos,

Et que le doigt de Dieu, qui soudain le réveille,

De la création reproduit la merveille !

 

 

 

Édouard SMITS.

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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