François aux chenilles

 

 

Belles aux souples annelures,

Chenilles faites de cent plis,

Lents glissements sous les verdures

D’anneaux coulants, d’anneaux jolis ;

 

Vous qui, parfois, semblez des cierges

En prières se balançant

Sur la source aux terribles berges,

Sur l’acanthe la traversant,

 

Certes, soyez émerveillées

De porter tant de fins joyaux,

Tant de bagues vives taillées

Dans la topaze et les émaux !

 

Restez fières d’un sort insigne,

Conquérantes des espaliers !

Dressez vos cols de petits cygnes

Au plus haut des hauts peupliers !

 

Mais supportez la fourmi brune

Et le cloporte sans éclat ;

Chenilles, ne toisez aucune

Des bestioles au dos plat.

 

Ne trouvez plus les sauterelles

Mal gracieuses en leur corps ;

Ne dites point : « qu’ont donc ces ailes

« À partir comme des ressorts ? »

 

« Et pourquoi tout ce bruit vulgaire

« Pour voler si bas et si peu ?

« Et le grillon ! qu’a-t-il à faire

« Sa voix de scie à l’été bleu ? »

 

Ne pensez pas : « Au bout des tiges

« Je vis plus dangereusement

« Et du gouffre j’ai le vertige

« Sans le clamer aux firmaments. »

 

Chenilles, demeurez modestes...

Ah ! ne prenez jamais d’orgueil

De la souplesse de vos gestes

Sur la dentelle du cerfeuil ;

 

Mais vivez en joie et silence,

Puis filez tout autour de vous,

Blonde ovule des renaissances,

Le cocon donnant au ver mou

 

Les ailes ! les magiques ailes !

Les ailes d’or, les ailes feu !

Les ailes qu’ouvrent et décèlent

Toutes les roses du bon Dieu !

 

 

 

Marie de SORMIOU,

La joie aux pieds nus,

Publiroc, 1936.

 

 

 

 

 

 

 

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