La feuille morte
PAUVRE feuille des bois, triste jouet des vents,
Vainement dans mon sein tu cherches un asile ;
Cet abri n’est pas plus tranquille
Que ce ciel orageux où grondent les autans.
Hélas ! de longs revers dans mon âme accablée
Ont porté tour à tour le trouble et la douleur ;
Éloigne-toi, pauvre exilée,
Je ne saurais t’offrir d’asile protecteur.
Tombe plutôt dans cette enceinte
Qu’habitent pour jamais le silence et l’oubli ;
Dans cet enclos funèbre où sommeille la crainte,
Où l’espoir est enseveli ;
Va mêler ta cendre à la cendre
Du simple habitant des hameaux ;
Va chercher un lieu de repos
Près de ceux qui n’ont plus de larmes à répandre.
Mais si tu viens, interprète du sort,
Ainsi qu’aux jours de la Sibylle antique,
M’annoncer l’heure de ma mort,
Je te bénis, ô feuille prophétique !
Oui, ton aspect devient pour moi
De la fin de mes maux le consolant présage ;
Comme toi flétri par forage,
Je vais tomber et mourir comme toi.
Reste donc sur mon cœur, aimable ménagère :
Reste jusqu’au moment où, libre de regrets,
Mon âme quittera ce séjour de misère
Pour le séjour de l’éternelle paix.
Jean-Baptiste-Augustin SOULIÉ.
Paru dans Les annales romantiques en 1825.