La pauvre fille
J’ai fui ce pénible sommeil
Qu’aucun songe heureux n’accompagne.
J’ai devancé sur la montagne
Les premiers rayons du soleil.
S’éveillant avec la nature,
Le jeune oiseau chantait sur l’aubépine en fleurs,
Sa mère lui portait la douce nourriture,
Mes yeux se sont mouillés de pleurs.
Oh ! pourquoi n’ai-je pas de mère ?
Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau
Dont le nid se balance aux branches de l’ormeau ?
Rien ne m’appartient sur la terre,
Je n’eus pas même de berceau,
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre
Devant l’église du hameau.
Loin de mes parents exilée,
De leurs embrassements j’ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée
Ne m’appellent jamais leur sœur.
Je ne partage pas les jeux de la veillée ;
Jamais sous son toit de feuillée
Le joyeux laboureur ne m’invite à m’asseoir,
Et de loin je vois sa famille
Autour du sarment qui pétille
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.
Vers la chapelle hospitalière
En pleurant j’adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas,
Où je ne sois point étrangère,
La seule devant moi qui ne se ferme pas.
Souvent je contemple la pierre
Où commencèrent mes douleurs,
J’y cherche la trace des pleurs
Qu’en m’y laissant peut-être y répandit ma mère.
Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l’asile solitaire :
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents :
La pauvre fille est sans parents
Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre.
J’ai pleuré quatorze printemps
Loin des bras qui m’ont repoussée :
Reviens, ma mère, je t’attends
Sur la pierre où tu m’as laissée.
Alexandre SOUMET.
Recueilli dans Poètes de la famille du XVIe au XIXe siècle, Casterman, s. d.