VISION

 

 

 

                               Je vis les sept anges qui sont devant

                            la face de Dieu.

                                          (SAINT JEAN, Apocalypse).

 

 

 

              Loin, bien loin, quels anges de flamme,

              Couronne du divin séjour,

              Enlèvent mon âme à mon âme,

              Qui se répand en flots d’amour ?

              À leurs splendeurs surnaturelles

              L’extase allume son transport ;

              De leurs éblouissantes ailes

              Jaillit le fleuve d’étincelles

              Où Thérèse puisait la mort.

 

              Est-ce sur la sainte colline,

              L’échelle ardente d’Israël ?

              Est-ce encor sous la main divine,

              La naissance d’un nouveau ciel ?

              Où Jérusalem, jeune et fière,

              Qui se pare pour son époux,

              Et ses rois, enfants de lumière,

              Portant dans leurs mains la prière,

              Et l’adorant à deux genoux.

 

              Ah ! tout mon cœur vers eux s’élève ;

              Car ils sont beaux les séraphins,

              Plus beaux que les premiers fils d’Ève,

              Dont leurs pas foulaient les chemins,

              Quand leurs familles étoilées

              Abaissaient leur vol gracieux ;

              Et que leurs formes dévoilées

              Laissaient à travers nos vallées

              Un rayon prolongé des cieux.

 

              À notre terre, veuve encore

              De leurs baisers, de leurs amours,

              Viennent-ils annoncer l’aurore

              D’un jour ressemblant à leurs jours ?

              Viennent-ils semer sur la rive

              L’épi dans un champ dévasté ?

              Ou, comme aux pleurs d’Agar captive,

              Rendre à quelque mère plaintive

              Son jeune enfant ressuscité ?

 

              Ô terreur ! mystères sinistres !

              Ils ont franchi l’immensité.

              Dieu !... ce sont les brûlants ministres

              Du juge de l’éternité.

              Leur coupe nous verse la guerre ;

              Et leur formidable clarté,

              Puisée aux sources du tonnerre,

              Rend chaque crime de la terre

              Visible à l’œil épouvanté !

 

              Ils ont rompu le sceau suprême,

              Posé leurs pieds sur nos deux mers.

              Déjà le vivant anathème

              Vole, respiré dans les airs.

              Babylone !... prête l’oreille

              À la dévorante leçon :

              Malheur à l’âme qui sommeille,

              Quand le trois fois saint se réveille,

              Et vient glaner à sa moisson !!!

 

              Ramené par les tristes heures,

              Le soleil voit sur chaque seuil

              De tes lamentables demeures

              Un mort attendant son cercueil.

              Ton sein n’a plus de tombes vides ;

              L’espérance te dit adieu ;

              La science, aux regards avides,

              Se penchant sur des corps livides,

              N’y voit que la foudre de Dieu.

 

              La foi seule attend... ô Lutèce !

              Tourne tes yeux vers l’Orient.

              N’as-tu pas, vierge et prophétesse,

              Ta patronne toujours priant ?

              Regarde, la voilà, c’est elle,

              Son voile blanc, sa pauvre croix,

              Sainte Geneviève si belle,

              Armée encor du roseau frêle,

              Houlette qui gardait les rois.

 

« Grâce, esprits du Très-Haut ; sous mes berceaux de lierre,

» Dans l’île des pasteurs, autrefois à genoux,

              » J’apprenais de vous la prière,

              » Et je viens l’essayer sur vous.

              » Vous m’étiez alors si fidèles

» Que je cachais ma ville avec vos blanches ailes

              » Lorsqu’elle implorait ma ferveur.

» Faudra-t-il maintenant à sa voix gémissante

              » Répondre que je suis absente ?

              » Absente, si près du Sauveur !

» Mon peuple du Seigneur méprisa la parole ;

              » Vous cherchez en vain ma croix d’or

              » Sur l’éblouissante coupole ;

» La croix a disparu, mais moi j’y suis encor.

              » Mais dans l’église de Nanterre

» J’ai des vœux où les cœurs attachent leur mystère,

              » Des autels de fleurs, d’humbles chants,

              » Et des mères que je console,

              » Venant me faire une auréole

              » Des blanches couronnes des champs.

» Oh ! grâce ! suspendez ces amères épreuves,

» Vous qui ne connaissez que les pleurs des élus ;

              » Voyez ces femmes deux fois veuves

              » Parce que leurs fils ne sont plus.

              » Voyez ce pâle et long cortège

» D’enfants qu’un même jour a faits tous orphelins,

              » Et que leur ange seul protège ;

» Ces cris, ce deuil, des cœurs, ces prières des saints,

              » Ce torrent de chastes aumônes

              » Qui vient laver l’iniquité,

» Et ces sœurs, empruntant, si pures et si bonnes,

              » Leur doux nom à la charité ;

» Ces sœurs qui sont du monde alors qu’il souffre et prie,

              » Et qui, sous leur bandeau flottant,

» Dans l’exil d’ici-bas se font une patrie

              » Comme celle qui les attend.

              » Si ma ville fut profanée,

» Elle est toujours à moi, car Dieu me l’a donnée.

» Elle est à son pasteur, qui, faible, et n’ayant rien,

» Est riche pour le pauvre et puissant pour le bien.

» Sa vertu de martyr avec moi vous implore.

» Regardez à vos pieds ses sublimes revers ;

» Regardez sur vos fronts, Dieu, le dieu que j’adore,

              » Et ses deux mains teintes encore

              » Du prix qui paya l’univers. »

 

              Elle dit ; sa voix innocente

              S’adressait aux anges de feu ;

              Mais plus que nos crimes puissante,

              Monte lumineuse vers Dieu.

              Et la vision désastreuse

              Rend les airs à leur pureté,

              S’apaise... et de la bienheureuse

              Suit l’auréole vaporeuse

              Pour rentrer dans l’éternité.

 

 

Avril 1832.

 

 

 

                                                                    Gabrielle SOUMET.

 

                                       Paru dans Écho de la jeune France en 1833.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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