Le chant du pillawer

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Émile SOUVESTRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il part, le pillawer, il descend la montagne ; il va visiter les pauvres du pays. Il a dit adieu à sa femme et à ses enfants. Il ne les reverra que dans un mois, dans un mois s’il vit encore ?

Car la vie du pillawer est rude, il va par les routes, sous la pluie qui tombe, et il n’a pour s’abriter que les fossés du chemin. Il mange un morceau de pain noir, pendant que ses deux chevaux broutent dans les douves, et il boit à la marre où chantent les grenouilles.

Il va, il va, le pillawer, il va comme le Juif-Errant. Personne ne l’aime, il ne trouve ni parents, ni amis dans le bas pays, et l’on ferme sa porte quand on le voit ; car le pillawer passe pour un homme sans foi.

Dimanches et fêtes, il est par les chemins. Il n’entend jamais la messe ni les offices ; il ne va point prier sur la fosse de ses parents ; il ne se confesse pas à son curé, aussi disent-ils dans le pays bas que le pillawer n’a ni foi ni paroisse.

Sa paroisse est là-bas, près de son toit de genêt, mais il n’y retourne que pour quelques jours. Il est étranger dans le village où il a été baptisé. Quand il arrive, les petits enfants ne crient pas son nom, les chiens n’aboient pas d’un air de reconnaissance.

Il ne sait pas ce qui se passe dans sa propre famille. Il revient au bout d’un mois, et quand il s’arrête sur la porte, il n’ose entrer, car il ne sait ce que Dieu lui a mis chez lui : une châsse ou un berceau !

Et quand son fils aîné aura douze ans, le pillawer lui dira un jour : – Viens apprendre ton métier, mon fils. Et l’enfant va meurtrir ses petits pieds dans les chemins, et il dira bien des fois à son père qu’il a froid et qu’il est fatigué.

Mais son père lui dira en lui montrant le soleil : – Voilà la cheminée du bon Dieu. Prie qu’il la rende chaude pour le petit pillawer ; et il ajoutera en lui montrant l’herbe verte : – Voilà le lit des pauvres gens ; prie Dieu qu’il le rende doux pour un enfant des montagnes.

Va, pauvre pillawer, le chemin du monde est dur sous tes pieds ; mais Jésus-Christ ne juge pas comme les hommes, et, si tu es honnête et bon chrétien, tes douleurs seront payées, et tu te réveilleras dans la gloire.

Tu vois les haillons couverts de boue que portent tes maigres chevaux : eh ! bien, un jour l’eau de la rivière les lavera ; ils seront confondus sous les marteaux de la papeterie, et les hommes en feront un papier plus blanc que la plus belle toile de lin.

Ainsi de toi, pauvre pillawer. Quand tu auras laissé ton pauvre corps couvert de guenilles au fond de quelque fossé, ton âme s’en échappera, blanche et belle, et les anges la porteront dans le paradis.

 

 

 

Émile SOUVESTRE.

 

Paru dans L’Anémone, annales romantiques en 1837.

 

 

 

 

 

 

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