Le sacrifice

 

 

Une dernière fois, ô mon ange, pour toi

J’allumerai la flamme sur l’autel

                À la merci des vents.

Mon chant t’apportera ainsi qu’une colombe

                Mon message d’adieu

                Et, cueillie au jardin des poètes, une rose

                Humide de rosée.

Elle est belle, Amanda, cette rose, et mes larmes

                S’y sont aussi posées.

                Dans son calice pourpre,

Elles n’ont pas coulé pour d’anciennes souffrances :

La joie les a fait naître : oui, je suis délivré

                Du joug de la passion.

 

Ma flamme est bien ainsi que celle de l’autel

S’élevant dans le ciel où elle disparaît.

Nulle trace en mon cœur de la souffrance ancienne,

Nulle plainte non plus sur ma lyre d’argent.

                Parmi les éons éternels,

Plus jamais la légende en fleurs de mon amour

Ne sera mentionnée ni ne sera chantée

                Sur la harpe berçant le rêve

                D’un jeune cœur sensible.

Mes longs soupirs sans mots et sans mémoire

                À jamais vous avez disparu !

 

Vois la fleur d’Aphrodite : elle est pourpre,

Éveillant le désir en ces jours de printemps,

                Et sa tige est armée d’épines.

Pourtant, bientôt fanée, sa corolle fervente,

                Pâle, s’inclinera

Et les froids aquilons chasseront sa poussière.

Bientôt la tourterelle chantera sa peine

                Et les printemps lointains

Seront prêts au retour, et de nouvelles roses

                Viendront parer le jour –

Qu’en sera-t-il alors de la rose fanée ?

                Ainsi passe l’amour sur terre :

Lorsqu’il s’épanouit, c’est qu’il est condamné.

 

C’est la mort de la fleur qui permet à l’automne

D’alourdir ses rameaux pour nous de fruits dorés.

                Sur ses ailes de pourpre

Ainsi le papillon quitte la chrysalide

                Pour jouer au-dessus de la source

                Et célébrer son vol nuptial,

                Enivré des parfums du printemps.

                Oui, que la chaîne soit brisée,

                Et la fragile forme,

Pour qu’apparaisse enfin l’être même des choses,

Et comme le rayon qui pénètre la brume,

                L’idée pénètre le symbole.

 

                Oui, pour que l’âme noble

Puisse libre et heureuse sur ses ailes célestes

                Aller vers sa haute demeure,

                Qu’elle rompe les liens de fleurs

                Qui la retiennent ensorcelée,

Et déchire le voile du mystère des choses !

                Dans les ténèbres éternelles,

                Elle garde plongé son cœur

                Si bien que plaisir et douleur

                Viennent régner dans leur mémoire.

Le sacrifice seul délivre les âmes

                Et seul, il les purifie.

 

                Adieu donc, ô mon ange,

                D’autres mondes m’appellent,

                Et des êtres stellaires.

Comme passent les fleurs et comme passe l’herbe,

                De même les fantômes.

Ceux qui n’ont pas cessé de contempler le ciel,

                Qui apprirent dès la jeunesse

                À mépriser tout l’éphémère,

                Ceux-là soient honorés !

Bien-aimée, tu es belle à l’égal d’une fleur :

                Sans hésiter pour ton amour,

        Je donnerais tous les trésors du monde.

        Mais le feu du ciel me consume, et mon cœur

        A ressenti l’appel d’une plus haute vie.

 

 

 

 

Erik Johan STAGNELIUS.

 

Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie suédoise, Seuil, 1971.