Les soupirs, leur mystère

 

 

Soupirs, ô précieux éléments

Où le Démiurge trouve haleine !

Avoue-le ! Quels plaisirs de tes sens

Ont fait battre ton cœur plus fort,

Illuminant tes pâles joues

Soudain des roses de la joie ?

Qu’était-ce ? – Un soupir de langueur,

Un seul soupir issu de l’âme

Et qui, loin de sa source,

S’était perdu au labyrinthe de la vie.

 

Deux lois régissent notre vie,

Deux forces dominant ce qui subsiste

Sous le disque incertain de la lune.

Sache-le bien ! C’est le Désir

Dans toute son emprise, et le Renoncement

Dans toute sa contrainte. Au ciel,

On les distingue, mais où règne Achamot[i]

À jamais doubles et unis

Ils sont là pour l’éternité

Dans le mystère des soupirs.

Du soupir de la vie au soupir de la mort,

Tristement tremble ici le cœur humain.

Et son destin dans le monde des sens

Est fixé par son haleine même.

 

Vois-tu la mer ? Assaillante,

Elle veut prendre en ses bras langoureux

La terre couronnée de lys,

Et le ciel lui prête ses torches nuptiales.

La voici ! Comme houleux de désir

Est son cœur ! Comme ses bras se tendent

Mais en vain ! Sous la lune,

Il n’est pas de désir exaucé.

Et la lune elle-même en son plein

N’est qu’un instant si bref !

Trahie dans son attente, la mer

Ploie sous le poids des vagues

Qui fièrement refluent et s’enfuient de la rive.

 

Et le vent, l’entends-tu ? Murmurant,

Il erre en la forêt parmi les hautes branches.

L’entends-tu ? Ses soupirs vont croissant

Comme s’il désirait, malade de langueur,

Avoir un corps afin de s’unir avec Flore,

Déesse de l’été. Mais se voilent les voix,

Et sur la harpe éolienne du feuillage,

Passe le chant du cygne, et de plus en plus sourd,

                Il finit par mourir.

 

Qu’est-ce que le printemps ? Des soupirs

S’élevant de la terre ténébreuse

Et demandant au Roi du ciel :

À quand le Mai d’Éden ?

Aimée du rayon matinal,

Qu’est-ce que l’alouette ?

Qu’est-il, le rossignol, le confident des ombres ?

Tous ne sont que soupirs, sous des formes changeantes.

 

Homme, veux-tu savoir ce qu’enseigne la vie ?

Écoute, écoute-moi ! Seules règnent deux lois,

L’une, c’est le Désir dans toute son emprise,

Et l’autre en sa contrainte, c’est le Renoncement.

Sauras-tu l’ennoblir en liberté, alors

 

Tu passeras, saint et réconcilié, les portes glorieuses

Par delà la matière et le tournoiement des planètes.

 

 

 

Erik Johan STAGNELIUS.

 

Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie suédoise, Seuil, 1971.

 

 

 

 

 

 



[i]  Mère du Démiurge.