La mère au bal
Jeune fille, accourez, l’orchestre vous appelle,
De splendides lueurs le salon étincelle,
La danse aux pas joyeux est reine de la nuit :
Vivement déposez la mantille légère,
Et fuyez en dansant aux yeux de votre mère,
Qui d’un regard d’amour au loin toujours vous suit.
Dansez, le bal s’enchaîne à l’heure qui s’envole ;
C’est une fraîche fleur dont l’éclat s’étiole
Trop vite, jeune fille, au gré de nos désirs.
Dansez sans réfléchir au sort de chaque chose,
Sans regarder minuit qui traverse, morose,
Avec des plis au front, votre essaim de plaisirs.
Dansez, dansez toujours ; la belle adolescence
Est l’âge de l’amour, du bonheur, de la danse.
Rieuses poursuivez son dédale enchanté :
Versez autour de vous vos regards, ce sourire,
Où tant de pureté, tant de candeur respire....
Dansez, éparpillez vos jours de liberté.
Mais vous, vous, jeune femme et frivole et coquette,
Qui penchez votre front sous cette riche aigrette
En savourant du bal le plaisir attrayant,
Est-ce qu’un cœur glacé vit dans cette poitrine,
Ou bien, rêve-t-il donc, ce front blanc qui s’incline
À quelque place vide au berceau d’un enfant.
Le remords vous prend-il au milieu de la fête,
Vient-il siéger au fond de votre âme inquiète ?
Non, car au tourbillon vous unissez vos pas.
Malheureuse, écoutez les accents de votre âme :
Écoutez la nature et le devoir, Madame,
Puis cet enfant qui pleure en vous nommant tout bas.
Cet enfant, qu’un berceau bien loin de vous enchaîne,
Petit être oublié dont le cœur, gros de peine,
Déborde à chaque instant de sanglots douloureux ;
Qui, dans les soins payés d’une main mercenaire,
Cherche en vain un regard, un baiser de sa mère ;
Qui, si plein de bonheur, dormirait sous ses yeux.
Ah ! ne craignez -vous pas, femme si près d’un crime,
Que Dieu, qui vous traça votre route sublime,
Ne vienne consoler le pauvre abandonné ?
Oui, ne craignez-vous pas, à l’éveil de l’aurore,
De voir dans ce berceau que sa lueur colore
Votre fils mort... par vous hélas ! assassiné ?
Dieu, prenant en pitié la faible créature,
Pourrait d’une caresse apaiser son murmure ;
Et pendant que, l’œil fixe et le cœur palpitant,
L’enfant voit aux rideaux la nuit draper son ombre,
Ses spectres effrayants, ses fantômes sans nombre,
Dieu pourrait envoyer un ange vers l’enfant.
Et cet ange attendri, déplorant sa souffrance,
Dirait : Viens avec moi, viens avec confiance ;
Ne pleure point la terre où l’on ne t’aime pas.
À l’enfant délaissé, viens, Dieu dans son empire
Garde un trésor d’amour !... L’enfant près de sourire,
Croyant ouïr sa mère, alors tendra les bras.
Louisa STAPPAERTS.
Paru dans la Revue de Liège en 1844.