L’arbre-fée

 

 

                                                  Cum grano amoris.

 

 

Ô mon Claudel, tu n’es plus à personne,

Toi qui t’en vas tout seul devant la mort.

Cet arbre-fée tout d’un coup il se nomme,

Mais c’est bien toi, mais c’est l’arbre d’Orphée !

 

Ô mon Claudel, ce tendre possessif

Te trouvera peut-être un peu rétif.

Tu t’es toujours pensé plus que les autres,

Ce n’est pas bien, coureur de patenôtres.

 

Dieu est chez lui chez tous les vrais poètes,

Dans le maquis de leur cœur, de leur tête,

Pour mieux pouvoir par nos yeux épier

Le monde entier duvetant à ses pieds.

 

Et qui est sûr, au bout de trois mille ans,

D’être couché parmi ses sentiments ?

Et qui connaît la longueur de ses ailes ?

C’est ce que dit Modeste Supervielle,

 

Sans être sûr, pour sûr, d’avoir raison,

Mais qui est sûr même d’une chanson ?

Je t’aime trop pour quelque chant funèbre

Qui n’aurait pu que me gercer les lèvres,

 

Sans rien laisser passer de mon tréfonds,

Qu’un peu de fièvre aspirant au pardon.

Pour être à ton niveau, j’eus le grand tort

De te parler comme si j’étais mort.

 

 

 

Jules SUPERVIELLE.

 

Paru dans Hommage à Paul Claudel,

numéro 33 de La Nouvelle Revue française,

1er septembre 1955.

 

 

 

 

 

 

 

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