Sur l’Alpe
Le soir, lorsque sur l’Alpe on entend des bergers
« Jodler » en leur patois des chants mélancoliques,
Quand on sent les parfums dont les vents sont chargés
Apporter de bien loin leurs senteurs bucoliques,
Alors que les taureaux se prennent à meugler,
Lorsque le ciel se teinte et de pourpre et de rose,
L’on se sent bien souvent le cœur un peu morose
Et l’on retient un pleur déjà prêt à couler.
Le crépuscule a fui. La lune s’est levée
Sur le vert pâturage où tout est endormi ;
C’est l’heure de la nuit, l’heure où notre pensée
Ne songe plus au monde et s’échappe à demi.
C’est l’heure où l’on se sent une âme de poète,
Où l’on ne contient plus les élans de son cœur
Pour chanter la Nature et Celui qui l’a faite,
Le soir, lorsque, sur l’Alpe, on songe au Créateur.
Jean SUTER.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.