Ô Bienheureux, aie pitié de moi...
Ô Bienheureux, aie pitié de moi !
Ô Père, aie pitié de moi,
si j’ose toucher,
sans la convenance
et l’honneur requis,
à ce qui t’appartient !
Quel œil assez ferme,
quel œil assez perçant,
en étant frappé
par tes fulgurances,
ne serait point ébloui ?
Contempler d’un œil fixe
tes feux rutilants,
n’est pas permis,
même aux Immortels.
Mais l’intelligence,
tombant de la hauteur
des lieux où tu contemples,
accueille avec joie
tout ce qui t’environne,
s’efforce de saisir
ce qui est insaisissable,
et de contempler
l’éclat qui resplendit
sur l’abîme insondable ;
puis, descendant de ces
inaccessibles sommets,
elle fixe avec force,
sur la première forme
qui se manifesta,
la vigueur de son œil.
S’emparant alors,
pour te chanter des hymnes,
de cette fleur de lumière,
elle cesse de la jeter
à des vents imprécis,
mais te restitue
tout ce qui t’appartient.
Et quoi donc, ô Roi,
ne t’appartient pas ?
De tous les pères
tu es le père,
ô toi ton propre Père,
père antérieur au Père,
qui n’as pas eu de père,
étant fils de toi-même ;
toi, unité existant
avant l’unité même,
semence des êtres,
centre de tout,
intelligence originellement
dépourvue de substance,
racine des mondes,
rayonnante lumière
des origines premières,
exacte et sage vérité,
source de sagesse,
intelligence voilée
par ses propres éclats,
œil de toi-même,
seigneur de la foudre,
générateur de l’éternité,
et vie éternelle,
de l’éternité !
créateur de la vie
et nourricier des âmes,
tu es la source des sources,
le principe des principes,
la racine des racines,
la monade des monades,
le nombre des nombres,
la monade et le nombre !
Tu es l’intelligence,
l’intelligent et l’intelligible,
et l’antérieur
à l’intelligible.
Tu es un, tu es tout :
un en toutes choses,
un avant toutes choses.
Tel est ce que dit et redit,
en évoluant tout autour
de ta profondeur indicible,
tout esprit initié.
SYNÉSIUS DE CYRÈNE, Hymnes.
Traduit du grec par Mario Meunier.
Recueilli dans Dieu et ses poètes, par Pierre Haïat,
Desclée de Brouwer, 1987.