Les athées

 

Fragment.

 

 

Ils ont dit : « Écoutez !... de ces vaines terreurs

» Qu’enfanta l’imposture, affranchissez vos cœurs.

» Qu’a donc à redouter une vile poussière ?

» Tout périt avec nous à notre heure dernière.

» Les éléments divers dont chaque être est formé

» Et qui restent unis tant qu’il est animé,

» Comme des voyageurs faisant la même course,

» Sitôt qu’il ne vit plus remontent à leur source.

» Il n’est qu’un seul principe immuable, éternel,

» Qui régit à la fois et la terre et le ciel,

» La nature !... voilà la puissance infinie !

» C’est de l’air, c’est de l’eau, c’est du fer, c’est la vie.

» Et de ces tourbillons, de ce grand mouvement,

» S’il résulte à nos yeux un désordre apparent,

» Ce désordre, c’est l’ordre. Oh ! quel prodige étrange

» L’un meurt et l’autre naît ; rien ne périt, tout change.

» L’équilibre est la loi qui règle l’univers

» Et qui force à marcher les astres dans les airs.

» Relevez-vous, mortels, loin de courber vos têtes !

» Aussi bien que le ciel, le cœur a ses tempêtes.

» La foudre épure l’air. Les orages du cœur

» Le brisent bien souvent pour le rendre meilleur.

» À quoi bon rechercher une école première !

» Pour faire aller le monde est-elle nécessaire ?

» Quand des fibres, des nerfs excitant le cerveau

» Suffisent... pourquoi l’âme, inutile flambeau ?

 

Les insensés ! voilà, par quel affreux blasphème,

Du ciel et de la terre encourant l’anathème,

Ils dessèchent la vie, empoisonnent le cœur,

Et font un fruit amer d’un fruit plein de douceur.

Le hasard pour arbitre ! ô comble de démence !

C’est peu du mouvement, il faut l’intelligence.

Sur le flambeau du jour, sur le voile des nuits,

Ce grand nom est tracé : « Je suis celui qui suis. »

C’est surtout dans le cœur, c’est surtout dans notre âme

Qu’on trouve sa puissance écrite en traits de flamme.

Si Dieu n’existe pas, que nous sert la vertu

Ôtez l’espoir à l’homme, il aura tout perdu.

Il maudirait son être, à l’instant qu’il succombe,

S’il ne pressentait pas le réveil de la tombe.

Il naquit pour aimer, pour souffrir, pour mourir,

Mais par-delà les cieux est un autre avenir :

De la terre il y touche et c’est là qu’il aspire.

Aux douleurs, à la mort, on le verra sourire,

Certain d’une autre vie. On le nierait en vain,

L’univers croulerait si la puissante main

Qui disperse à son gré le soleil dans l’espace

N’assignait à chacun son orbite et sa place.

Tout prévoir est l’effet de son pouvoir divin.

Point de commencement pour lui, jamais de fin.

Il est le Tout-Puissant, car de tout il dispose ;

Il est en même temps, principe, effet et cause.

 

Et quand il doit attendre, adorer, implorer,

L’être, qui vit un jour, oserait murmurer !

Passant du bien au mal, de la croyance au doute,

L’homme voudrait des cieux voir s’abaisser la voûte.

Ah ! c’est assez pour lui d’un cœur pour s’attendrir,

D’un esprit pour rêver, d’une âme pour sentir !

C’est un être incomplet tant qu’il vit sur la terre

Sa patrie est aux lieux où gronde le tonnerre.

C’est là qu’il pourra voir, au gré de son désir,

Environné de gloire ainsi que de puissance,

Celui, dont aucun nom ne peut rendre l’essence,

Qui n’a pas commencé, qui ne doit pas finir.

 

 

Le baron de TALAIRAT.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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