Au lit de mort
Ouvre tes yeux mourants ! La lumière à flots d’or
De ce monde invisible où tu prendras l’essor
Commence à resplendir comme un éclair rapide
À ton regard atone, interrogeant le vide.
Oui, tu l’as aperçue, et ton front rayonnant
Du grand froid de la mort se couvre, frissonnant.
Un effort, un soupir, une transe dernière
Et, de ton corps glacé, l’âme s’enfuit, légère.
Tandis qu’en sanglotant, tes amis éperdus
Joignent les doigts crispés, ferment les yeux tordus
Du cadavre roidi dont la longue agonie
Mouille encor sur son front la tempe dégarnie,
Ton esprit hésitant s’est arrêté, troublé,
Devant l’immensité du monde révélé…
Viens et rassure-toi. Ces ombres lumineuses
Qui s’approchent de toi, graves, silencieuses,
Sont ici pour t’aider, au moment solennel
Où tu sors du présent, désirant l’éternel.
Rejoins-les, ces amis, et, d’un élan superbe
Dans le profond azur, séjour du divin Verbe,
Ils iront avec toi, dissipant ta frayeur
En te parlant tout bas d’espoir et de bonheur !
Ils iront avec toi, soutenant ta faiblesse,
Dévoilant l’inconnu dont la splendeur t’oppresse.
Tout mal est expié, mais on doit en souffrir
Pour mériter enfin des joies dans l’avenir :
De son trouble profond, ton âme consolée
Retrouvera là-haut une autre âme envolée…
Car Dieu, le Tout-Puissant, nous a donné l’amour,
Divine et tendre loi qui, dans chaque séjour,
Dans chaque étoile d’or, dans l’étendue immense
Régit les univers par sa magnificence.
J. de TALLENAY.
Paru dans L’Initiation en mars 1893.