La mort

 

 

QUAND, de la vie essayant te voyage,

L’enfant sourit à son naissant destin,

La Mort est là ; comme un léger nuage

Elle apparaît à l’horizon lointain :

Sans redouter cette ombre fugitive,

Qu’aperçoit seule une mère craintive,

Il rit, bercé d’ignorance et d’espoir ;

Son beau matin ne prévoit point de soir.

La Mort est là, quand des jours de l’enfance,

Aux mains du temps le sable est écoulé ;

Avec effroi, la vive adolescence,

Distingue alors son fantôme voilé.

Au sein des jeux, aux heures de l’étude,

Une soudaine et vague inquiétude

Vers cet objet ramène son regard ;

Le voile obscur se soulève plus tard :

Il est une heure où l’aveugle jeunesse

D’un vain espoir laisse échapper l’ivresse,

Heure funeste, où les premiers malheurs

Font à nos yeux verser les premiers pleurs,

Ou, tout entier le monde se révèle !

La Mort est là ; mais la Mort paraît belle !

C’est un jeune ange, au maintien triste et doux ;

D’un léger deuil le voile l’environne,

De pâles fleurs son beau front se couronne ;

C’est un ami qui s’approche de nous :

D’aucun effroi sa marche n’est suivie ;

Ses chastes mains du flambeau de la vie

Contre le sol pressent l’éclat mortel :

Mais d’un regard il endort la souffrance ;

Mais tous ses traits rayonnent d’espérance ;

Mais il sourit et nous montre le ciel !

Du jour bientôt le midi nous éclaire,

Et, dégagé des vapeurs du matin,

L’ange grandit ; son front devient sévère,

En dépouillant ce nuage incertain :

Plus il avance, et plus on le redoute ;

Tous les trésors amassés sur la route,

Sa vaste main s’ouvre pour les ravir,

Et c’est alors que la Mort fait pâlir !

Mais elle approche et s’agrandit sans cesse ;

L’âme entrevoit le terme du chemin ;

Déjà s’enfuit sous l’ombre qui s’abaisse

L’éclat mourant d’un soir sans lendemain.

Du poids des ans s’accroît notre faiblesse ;

La Mort est là ! courbés par la vieillesse,

Quand nous touchons à ses pieds redoutés,

Son front immense est caché dans la nue ;

Mais, si le spectre échappe à notre vue,

Nous le sentons debout à nos côtés !

 

Quoi je mourrai ! Quoi ! le temps à sa suite

Amènera l’irrévocable jour,

Le jour muet et sombre, ou sans retour

S’arrêtera ce cœur qui bat si vite !

Oui, quand les biens que garde l’avenir

Me chercheront, j’aurai quitté la terre !

Comme au vallon, une fleur solitaire,

Se fane et meurt, laissant pour souvenir

Quelques parfums et des feuilles légères,

Faibles jouets des brises bocagères.

Vous de la lyre amis harmonieux,

Oh ! recueillez avec un soin pieux

Ces chants épars où j’ai laissé mon âme :

Ils vivront peu ; mais peut-être une femme,

À leur douceur, séduite par degré,

Suivra de l’œil la page fugitive...

Puis tout à coup s’arrêtera pensive,

En répétant tout bas : Quoi ! je mourrai !

 

 

 

Amable TASTU.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1825.

 

 

 

 

 

 

 

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