Ce qui est éternel
Oui, le guerrier de son épée peut forger un empire,
Et sa gloire voler aussi haut que les aigles ;
Mais un jour vient où se brise l’épée,
Où l’aigle tombe des nuées.
Ce que la force a fait est éphémère, et meurt
Ainsi qu’un tourbillon de vent dans le désert.
La vérité survit ! Elle reste dressée.
Rayonnante malgré le tumulte des armes
Et dans le monde obscur elle montre la voie,
Nous conduisant vers l’au-delà !
Elle parle, éternelle ! Écoutez ! Ses paroles
Retentissent sur terre comme aux cieux.
Ce qui est juste ne meurt pas ! Et son lys piétiné
Jamais ne pourra être arraché de la terre.
Que le mal ait conquis le monde tout entier,
Toi, tu pourras encor maintenir la justice.
Que la ruse et le dol la pourchassent partout,
Dans ton cœur elle aura un refuge secret !
Et cette flamme enclose dans nos cœurs
Alors s’incarnera comme Dieu pour agir.
Ce qui est juste aura nos bras,
Ce qui est vrai aura nos voix, et les peuples
Nouveaux se lèveront. Les sacrifices, les épreuves
Brilleront au-dessus du fleuve de l’Oubli.
Le poème n’est pas comme un parfum de fleurs,
Ou comme dans le ciel l’arc chatoyant d’Iris.
Belle, ton œuvre est plus que la poussière,
Et les années la renouvelleront encore.
Éternelle beauté ! Âprement nous cherchons
Ton sable d’or roulé par le fleuve du Temps.
Pénètre-toi du vrai, ose ce qui est juste,
Œuvre avec joie : pour la beauté !
Voilà ce qui parmi les hommes est immortel
Et au-delà du temps leur ultime recours !
Ce que le Temps te donne, il faut que tu lui rendes.
Ce qui est éternel, ton cœur doit le garder !
Esaias TEGNÉR.
Recueilli dans Anthologie de la poésie suédoise,
choix, traduction, introduction et notes
par Jean-Clarence Lambert, Seuil, 1971.