Spleen

 

 

Au sommet de ma vie aux sentiers escarpés,

les eaux se partagent pour aller bouillonner

De différents côtés, qu’il faisait clair !

      Qu’il faisait bon y demeurer !

Je voyais le soleil et tous les autres astres

Qui brillent dans la nuit après qu’il s’est couché ;

Superbe en sa verdure, je voyais cette terre,

Et le Dieu de bonté et les hommes loyaux.

 

Mais un sombre démon apparut tout à coup,

S’accrochant à mon cœur d’une noire morsure ;

Et tout devint pour moi désert et désolé.

Le soleil s’obscurcit ainsi que les étoiles,

Et mon séjour si gai fut sombre et automnal :

La clairière jaunit et les fleurs se fanèrent.

Transi, mon cœur n’eut plus de force ni de vie :

Le courage et la joie en mon cœur expirèrent.

 

Que me veut désormais cette réalité,

Oppressante et muette, et pesante, et brutale ?

Et comme elle a pâli, la rose de l’espoir !

Comme il s’est obscurci, le ciel du souvenir !

Et toi, ô poésie, ô danseuse de corde,

Tes tours, tes jongleries n’ont plus d’attraits pour moi.

Qui donc irait se prendre à tes bouffonneries ?

Vaine écume qui vient en surface des choses.

 

Quant à l’espèce humaine, et qu’il nous faut louer,

En image de Dieu véridique et semblante,

Deux mensonges pourtant la désignent, qui sont,

L’homme et la femme, oui ! Une vieille chanson

Qui parle de l’honneur et de la foi jurée

Chantez-la au moment que vous pensez trahir !

Céleste créature ! Il n’est de vrai en toi

Que la marque laissée par Caïn sur ton front !

 

Une marque bien nette, écrite par Dieu même.

Que n’en ai-je plus tôt interprété le signe ?

Un relent de cadavre traîne sur notre vie

Qui vient empoisonner l’haleine du printemps,

La splendeur de l’été – relent de cimetière !

Les tombes peuvent bien être scellées de marbre !

La décomposition est le but de la vie,

Nulle garde n’y fait, elle est partout présente !

 

Dis-moi, gardien des tombes, comme la nuit s’attarde !

Quand va-t-elle finir ? Finira-t-elle jamais ?

À demi dévorée, la lune suit son cours

Lamentable parmi les étoiles qui pleurent.

Mes tempes battent vite ainsi qu’en ma jeunesse

Sans pouvoir mesurer les heures douloureuses.

Et chaque battement, long, sans fin, est souffrance,

Ô mon cœur dévoré, mon pauvre cœur exsangue !

 

Mon cœur ! Dans ma poitrine, il n’y a pas de cœur,

Mais l’urne renfermant les cendres de la vie !

Déesse verte, Herta, ô prends pitié de moi,

Et permets que cette urne enfin soit inhumée.

Vois comme elle est rongée ! Les douleurs de la terre,

Une fois dans la terre doivent se dissiper,

Et les enfants perdus, à l’école ici-bas, peut-être,

Retrouveront leur père – au-delà du soleil ?

 

 

 

Esaias TEGNÉR.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie suédoise,

choix, traduction, introduction et notes

par Jean-Clarence Lambert, Seuil, 1971.

 

 

 

 

 

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