Que je meurs de ne pas mourir

 

 

Je vis sans vivre en moi,

Et de telle manière espère,

Que je meurs de ne pas mourir.

 

En moi-même je ne vis plus,

Et vivre sans Dieu je ne puis ;

Si sans lui et sans moi je reste,

Ce vivre, que sera-t-il ?

Mille morts il me sera,

Puisque ma vie même j’espère,

En mourant de ne pas mourir.

 

Cette vie que je vis

Est de vivre privation ;

Et ainsi continuel mourir

Jusqu’à ce qu’avec toi je vive ;

Entends, mon Dieu, ce que je dis ;

Cette vie-là je n’en veux point,

Car je meurs de ne pas mourir.

 

De toi étant absente,

Quelle vie puis-je avoir,

Sinon souffrir la mort

La plus grande que jamais vis ?

J’ai pitié de moi-même,

Car je persévère de sorte

Que je meurs de ne pas mourir.

 

Le poisson qui sort de l’eau

N’est pas tant de secours privé,

Car dans la mort qu’il endure

La mort enfin lui est secours.

Quelle mort pourrait s’égaler

À mon vivre pitoyable,

Si plus je vis, plus je meurs ?

 

Quand je pense me soulager

De te voir dans le Sacrement,

Plus grande affliction ce m’est

De ne pouvoir jouir de toi ;

Tout ne fait qu’accroître ma peine,

De ne te voir comme je veux,

Et je meurs de ne pas mourir.

 

Et si je me réjouis, Seigneur,

Dans l’espérance de te voir,

En voyant que je puis te perdre

Cela redouble ma douleur ;

Vivant en si grande frayeur

Et espérant comme j’espère,

Je me meurs de ne pas mourir.

 

Arrache-moi à cette mort,

Mon Dieu, et donne-moi la vie ;

Ne me garde pas entravée

Dans ce lacet si rigoureux ;

Vois comme je languis de te voir,

Et mon mal est si entier

Que je meurs de ne pas mourir.

 

Je pleurerai ma mort déjà,

Et je déplorerai ma vie,

Tout le temps qu’elle restera

Détenue par mes péchés.

Ô mon Dieu, quand est-ce que

Je pourrai dire en vérité :

Oui, je vis de ne pas mourir ?

 

 

 

THÉRÈSE D’AVILA,

Poèmes nés du feu de l’amour de Dieu.

 

Traduit de l’espagnol par Bernard Sesé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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