Oblatio Vespertina

 

 

Offrande du soir. Je ne t’avais encore donné que l’ivresse ou que la douleur. Aujourd’hui, voici mon âme,

Cette essence nue, cette miette d’éternité qui ne s’exhale pas avec les baisers, qui ne coule pas avec les larmes !

J’ai aimé d’abord en toi ta richesse. Et puis j’ai chéri ta pauvreté. Aujourd’hui, je t’aime.

Je t’aime du simple amour que rien ne dépasse et ne guide. La joie et les larmes le suivent. Délices et peines s’emmêlent dans son sillage.

Mais rien ne le précède, et nul astre ne flambe au-dessus de sa route,

Car l’amour est à lui-même son gouvernail, son étoile et son océan,

Et son écueil et son port !

 

Tu as tué le rêve en moi...

En te mêlant à mon âme, tu m’as appris que le monde est un,

Que tout n’a qu’un nom devant l’amour,

Et que ce nom est prière.

 

Par toi, je suis rentré dans la profondeur sans coupure où plus rien ne sépare et ne gradue les choses, – là où l’univers n’a plus de haut ni de bas, où ne gémit plus qu’une identique créature devant l’identique Dieu.

Tu as fait s’incarner en moi l’esprit de prière : tu l’as fait descendre jusqu’à mes racines et jusqu’à ces limbes solitaires où chuchotent les bêtes et les démons...

Tu m’as appris à prier avec d’autres bouches,

Avec la voix de la chair, de la guerre et du remords,

Avec le silence de la défaite et du désespoir !

– Ce qui en moi s’opposait au ciel, par toi aujourd’hui m’unit au ciel !

 

Dans tes douces mains pleines de pitiés et de glaives,

Sur ton sein dont la chaleur mûrit en moi la solitude,

Reçois, bien-aimée, l’offrande du soir !

Toutes les formes fugitives, tous les hasards du grand jour flottent, dénoués, derrière nous ;

Toutes nos possibilités de mourir meurent au seuil de cette mort...

Il n’est plus que la nuit devant nos pas,

Non pas cette nuit charnelle et piquée d’étoiles tremblantes, cette ombre équivoque, trop aveugle et trop lucide à la fois, et que le soleil vaincra demain,

Mais la nuit sans retour des âmes !

La nuit qui est Dieu,

La nuit où l’amour n’est plus qu’amour,

La nuit sans étoiles et qui n’est qu’étoiles !

 

 

 

Gustave THIBON, Offrande du soir, Lardanchet.

 

 

 

 

 

 

 

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