21 janvier 1793

 

 

Cent ans déjà franchis depuis ce jour horrible

            Où le sinistre exécuteur

Dressait sur l’échafaud la machine terrible

            Qui symbolisait la Terreur !

Où, friande de sang, la vile populace,

            Grise de ce sauvage attrait,

Se pressait en hurlant sur cette grande place

            D’où la guillotine émergeait !

Ce spectacle alléchait d’atroce jouissance

            Les Montagnards blasés déjà :

On allait immoler au peuple un Roi de France,

            Comme le Christ au Golgotha !

Ce Roi, dix ans plus tôt, était le Débonnaire,

            L’idole de la nation !

La foule l’acclamait ! Mais le flot populaire,

            Ivre de Révolution,

Avait tout culbuté, terrifiant cyclone.

            Et, faisant le chaos complet,

Fauché les grands du jour et jeté bas le trône

            De saint Louis et d’Hugues Capet !

 

Tandis qu’en frémissant la foule impatiente

            Attendait le drame promis,

Un char, qui s’avançait d’une allure très lente

            Dans les dédales de Paris,

Du Temple, sa prison, amenait la Victime,

            Frayant sa route pas à pas,

Vers l’autel où bientôt ce Martyr magnanime

            Devait s’offrir au coutelas !

Des tyrans de ce jour l’insatiable haine

            Tout en sapant la Royauté,

De ce peuple en démence avait forgé la chaîne

            Sous couvert du mot : Liberté !

De soldats avinés les bruyantes cohortes

            Se déployaient sur le parcours

Et de Paris esclave avaient fermé les portes,

            Craignant qu’on ne portât secours

Au Prisonnier Royal marqué pour le supplice

            Et qu’un suprême dévoûment,

En arrachant Louis Seize aux gardes de police,

            Ne vint changer le dénoûment !

 

Tout à coup des clameurs s’élèvent dans la foule,

            Le flot humain va s’approcher,

Torrent impétueux et brisé par la houle

            Comme un esquif prés d’un rocher !

Le funèbre cortège apparaît sur la place

            Et les gardes, doublant leurs rangs,

Réservent devant eux un important espace,

            Des curieux pressant les flancs !

Bientôt le Roi descend de sa lourde berline,

            Le regard ferme et le front haut.

Devant lui, sans pâlir, il voit la guillotine

            Menaçante sur l’échafaud !

Du Roi Louis, son aïeul, dans sa reconnaissance,

            Trente ans plutôt cette cité

Érigeait la statue et lui jurait d’avance

            Éternelle fidélité !

Mais aujourd’hui néant ! La statue est par terre,

            La tourmente a passé par là !

 

Contenu par la troupe aux ordres de Santerre,

            Le peuple murmure déjà !

La Royale Victime est prête au sacrifice,

            Trop lent au gré des furieux

Venus pour s’esbaudir comme aux feux d’artifice

            Devant ce spectacle odieux !

Du sol de l’échafaud parvenu sur le faîte,

            Samson vient s’emparer du Roi,

Il lui saisit les bras, et, malgré sa requête,

            Les attache suivant sa loi.

Louis veut parler au peuple à cette heure suprême

            Et lui dire un dernier adieu :

Non contre ses bourreaux pour lancer l’anathème,

            Mais pardonner comme son Dieu !

Aux premiers mots sortis de la bouche Royale,

            Craignant l’effet d’un tel discours

Sur la foule présente à cette saturnale,

            Santerre fait signe aux tambours.

Leurs roulements bruyants font vibrer l’atmosphère,

            Tels que la cloche d’un beffroi,

Lorsque le feu, la nuit, dévore une chaumière,

            Semant la terreur et l’effroi !

Le Roi n’a pu parler ! L’étourdissant vacarme

            A couvert cette auguste voix

Dont aux beaux jours d’antan chacun goûtait le charme !

            Son confesseur lui tend la croix,

Cette croix sur laquelle un Dieu s’est fait victime

            Dix-huit siècles auparavant,

Condamné par les Juifs sous prétexte de crime,

            Crucifié, toujours vivant !

Louis Seize embrasse alors cet adorable emblème

            Dans toute l’ardeur de sa foi,

Plus fier et glorieux que sous le diadème

            Et qu’avec son sceptre de Roi !

Puis le prêtre l’étreint et conduit la victime

            Au pied du sanguinaire autel,

Et, pour dernier salut, il dit ce mot sublime :

            Fils de saint Louis, montez, au ciel !

 

Mais soudain, au milieu du plus morne silence,

            Le couteau tombe avec fracas !

Pour le Royal Martyr l’éternité commence

            Et pour les siens sonne le glas !

Sa mort est le signal d’abominables crimes

            Dont l’humanité va frémir !

Bientôt sur l’échafaud d’innombrables victimes

            Comme le Roi viendront mourir !

Toujours prête à trancher, la Mort en permanence

            Sur cette place habitera,

Attendant des martyrs le troupeau sans défense

            Que Robespierre livrera !

Nobles et paysans, vieillards et jeunes filles,

            Tous condamnés sans jugement,

Vont payer de leur sang l’honneur de leurs familles,

            Leur héroïque dévoûment !

Tous, unis par le cœur, frères par la disgrâce,

            Dociles, subiront leur sort,

Et, fiers de leur destin, dédaigneux d’une grâce,

            Marcheront sans crainte à la mort !

De tous ces innocents l’effroyable hécatombe

            Va durer pendant de longs mois,

Par ses drames sanglants épouvantant le monde,

            Et menaçante pour les rois !

Jusqu’au jour où, lassé par cette exubérance

            De sang, d’ivresse et de fureur,

Le peuple, des tribuns, délivrera la France

            Et renversera la Terreur !

Ce jour-là les bourreaux viendront payer leur dette

            Et, de rage écumant encor,

À leur tour monteront dans l’ignoble charrette

            Sous le soleil de Thermidor !

Ce jour-là, dégagé de l’étouffante étreinte

            Qui l’enserrait depuis deux ans,

Le pays renaissant respirera sans crainte

            Du joug de ses sombres tyrans !

Des prisonniers suspects, condamnés par centaines,

            De leurs cachots pourront sortir ;

Ce jour sauveur devra faire tomber leurs chaînes

            Et de la mort les affranchir !

Et, pensant à leur Roi, ce jour de délivrance,

            Tous, courbés devant l’Éternel,

Diront : Salut aux morts, salut au Roi de France !

            Fils de saint Louis, régnez au ciel !

 

 

 

Marquis de THUISY.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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