À une rose

 

 

– Dans mon petit jardin tu naquis, fraîche rose,

À cette heure où l’aurore aux doigts de fée arrose

De ses pleurs de cristal la prairie et le bois ;

Tu t’entr’ouvris au doux frôlement de la brise,

Dans un spasme subtil d’amour et de surprise :

Ton rosier fleurissait pour la première fois.

 

C’était un églantier sans nom et sans famille,

Poussé, Dieu sait comment, sous l’épaisse charmille.

Chétif enfant trouvé !... j’eus pitié de son sort,

Avec soin j’enchâssai dans sa flexible écorce

Un bourgeon de pur-sang plein d’ardeur et de force,

Et la greffe bientôt prit un rapide essor.

 

Il grandit sans rivaux en cette solitude,

L’orphelin adopté par ma sollicitude ;

Mieux que bien des mortels il sut apprécier

Ce que j’avais de droits à sa reconnaissance ;

Et c’est toi, doux tribut d’amour et d’innocence,

Qu’il m’envoie aujourd’hui pour me remercier.

 

Je t’ai donc acceptée, humide de rosée,

Vierge de mai ! Ma main, sans doute trop osée,

T’a ravie aux baisers caressants du matin ;

Ma lèvre s’est collée à ton sein diaphane,

Et je t’ai déflorée, – ivresse d’un profane

Qui s’enivre d’un trait au début du festin. –

 

Que n’ai-je prolongé ton éphémère aurore !

À ton rameau plaintif qui te réclame encore

Tu pourrais sous mes yeux t’effeuiller lentement.

Mais non, je fus jaloux ! Mon égoïste envie

Au printemps disputa ton amour et ta vie,

Et tu meurs immolée ainsi par ton amant.

 

Oh ! quand je te cueillis, les yeux remplis de larmes,

Ton visage enfantin, orgueilleux de ses charmes,

D’un immortel éclat semblait devoir briller !

Joyeux, je t’emportai sous l’allée endormie,

De mes doigts t’effleurant à peine, frêle amie,

Bien délicatement, de peur de te souiller !

 

Et, comme je songeais à ta courte existence,

Au bonheur, à la gloire, – une double inconstance, –

Au berceau qu’un cercueil peut remplacer demain,

Sur un banc isolé, mon étape ordinaire,

J’aperçus une enfant, – elle était poitrinaire, –

Et sa mère à ses pieds cousait, sur le chemin.

 

Poitrinaire à quinze ans ! une rougeur trop vive

De sa joue empourprait la blancheur maladive ;

Et je la comparais presque instinctivement

À ton teint, dont l’éclat pâlissait d’heure en heure,

En me disant : « Faut-il qu’à cet âge l’on meure ! »

Et tu me répondis : « Mourir est si charmant,

 

« Dans les bras d’un ami ! sans douleur, sans délire,

Sans remords ni regrets, comme un son sur la lyre,

Comme le crépuscule automnal d’un beau soir,

Comme moi sur ton sein ! » Rempli de ta pensée,

J’allai revendiquer ma place délaissée

Sur le banc où l’infirme avait daigné s’asseoir.

 

Ce qu’un simple regard peut causer de délice,

Alors tu l’éprouvas, lorsque dans ton calice

Le sien s’épanouit palpitant de désir !

Je le compris, – ainsi l’eût compris tout le monde, –

Et t’offrant, pauvre fleur, à l’enfant moribonde,

Je lui dis : « Acceptez ! vous me ferez plaisir ! »

 

C’est ainsi que tu fus offerte et délaissée

Par ton premier amant. Sur sa bouche glacée

Lorsque après un bonsoir t’abandonna ma main,

Je te vis tressaillir, ô volupté frivole !

Dernière illusion d’un rêve qui s’envole

Et que l’ingrat oubli moissonnera demain !

 

Comme je m’éloignais, avec un long sourire

Elle me salua. Voulait-elle me dire,

En me remerciant, un éternel adieu ?

– De mystère est voilé le chaste aveu d’un ange, –

Mais je compris pourtant, par son extase étrange,

Qu’elle adressait pour moi quelque chose au bon Dieu.

 

Que ne peut-elle, ô fleur par une fleur ravie !

Sur tes lèvres puiser une seconde vie

Comme l’active abeille y puise son doux miel.

Hélas ! ta blanche sœur, plus tôt que toi peut-être,

Répondra sans murmure à l’appel de son maître

Et te précédera sur le chemin du ciel !

 

Oh ! s’il en est ainsi, que tes feuilles errantes,

Secouant dans l’azur leurs graines odorantes,

Fécondent le gazon où son corps dormira ;

Bientôt, sur les essaims de leurs roses nouvelles

Le nouveau séraphin étendra ses deux ailes,

Et, tel qu’un tendre ami, sur elles veillera !

 

 

 

H. TICHY.

 

Paru dans Poésies de l’Académie

des muses santones en 1895.

 

 

 

 

 

 

 

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