L’aumône

 

 

Le lourd soleil de juin a brûlé les campagnes.

Le torrent qui tombait du sommet des montagnes,

Brisant les fleurs, broyant les arbres dans son choc,

Ouvre, comme une plaie énorme dans le roc,

Son gouffre desséché plein de débris informes.

Le ruisseau dont les eaux baignaient le pied des ormes

Et qui courait, avec un murmure confus,

Frais et clair, à l’abri des vieux saules touffus,

Montre à présent son lit de sable triste et vide.

Le chemin est ardent et le champ est aride.

On voit les blés jaunis sécher sans être mûrs.

Les fauves, par milliers, cherchent l’abri des murs,

Épouvantés de voir la forêt sans ombrage.

Les oiseaux étonnés s’appellent ; avec rage,

Inquiets, vainement implorent-il, du bec

La terre dévastée et la fontaine à sec.

Les reptiles, brûlés par la chaleur de sable,

Sont saisis d’un effroi vague, indéfinissable ;

Ils n’osent plus sortir. Le troupeau haletant

Regarde avec stupeur les vases de l’étang

D’où s’élève un brouillard épais et délétère.

Partout la sécheresse a fait fendre la terre.

Adieu les verts taillis ! Adieu les gazons frais !

Adieu paix des vallons ! mystère des forêts !

Le soleil a fané les fleurs, flétri les mousses ;

La nature n’a plus de perspectives douces,

Et, dans ce flamboiement de la terre et des cieux,

L’homme ne trouve plus où reposer ses yeux.

La soif et le murmure ont contracté sa bouche ;

Il est découragé, morne, sombre, farouche ;

Il respire, mêlés dans un air lourd et chaud,

La poussière d’en bas et les rayons d’en haut ;

Et du triste univers, comme du fond d’un gouffre,

Un cri monte incessant : « Seigneur, la Terre souffre. »

Le Seigneur répondit : « Je vais faire pleuvoir

Sur la terre assez d’eau pour remplir l’abreuvoir,

Le ruisseau, le torrent, l’étang, le lac, le fleuve,

Pour vêtir les forêts d’une ramure neuve,

Pour faire reverdir les vallons et les prés.

Je veux calmer la soif de ces désespérés

Qui souffrent, quel que soit le nom dont on les nomme,

Je veux, sur le reptile aussi bien que sur l’homme,

Sur l’humble et l’orgueilleux, verser le même don.

Je suis la Récompense et je suis le Pardon.

Je veux que le bienfait étouffe le blasphème,

Qua l’ignorant haineux me connaisse et qu’il m’aime ;

Je veux gagner son cœur par la souffrance aigri,

Afin qu’il soit à moi quand je l’aurai guéri.

Je veux que le bonheur apaise et sanctifie

Tout ce qui se révolte et ce qui se défie,

Et, réconciliant tous les êtres entre eux,

Que la fraternité de l’univers heureux,

Comme un parfum d’encens, monte jusqu’à mon trône. »

 

Ô frères, c’est ainsi que doit tomber l’aumône.

 

 

 

Louis TIERCELIN, L’Oasis.

 

 

 

 

 

 

 

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