Comment amour enivre l’âme
Que dans mon esprit, toujours et dans mon cœur,
Soit Jésus-Christ, à qui sont gloire et honneur !
Dieu, où donc en suis-je avec mon intention ?
Les anges chantent en grand délectation,
Et moi je me meurs pour si belle passion ;
Ainsi plaise à Dieu, qui a tout mon amour.
Pour mon cher amour, en chantant, je me meurs,
J’en suis en gésine, en angoisse, en douleur :
Plus grand richesse n’ai, ni autre trésor,
Sinon toi, Jésus, le repos de mon cœur.
Pour mon amour veux aller à l’aventure,
Chercherai par vaux, montagnes et plateaux,
Si me sera donné par bonne aventure,
De me rencontrer avec mon doux amour ?
Pour mon amour veux aller bien ordonné,
Avec visage calme et le cœur tout simple ;
Tout homme me dise : Or qu’as-tu donc trouvé ?
Et je répondrai : Je meurs pour mon amour.
Pour mon amour veux aller tout déréglé,
Le visage hardi et le cœur bouillant ;
Tout homme me dise : Ore qu’as-tu donc vu ?
Et je dirai : Rien, je cherche mon Amour.
Tout ce qu’est au monde m’invite à aimer,
Bêtes et oiseaux et poissons dans la mer ;
Ce qu’est dans l’abîme et qui plane dans l’air,
Tous, les vois s’incliner devant mon Amour.
La nuit et le jour, à lui toujours repense,
Et ce penser devient tellement intense,
Que s’il croissait encore en perdrais le sens,
Quelle dure mort que d’être sans Amour !
De l’Amour mien je vais souffrant le retard :
Pense qui peut quelle peine, quel supplice !
Si bien que le cherche, ne retrouve soulas.
Or qui me montrera le mien noble Amour ?
J’ai l’esprit d’Amour si fort préoccupé,
Que d’autre chose jamais ne se contente ;
Se détruit mon cœur, se dissout et s’inonde,
En un tel état m’as réduit, mon Amour !
Je veux inviter tout le monde à aimer,
Les vaux et les monts et les gens à chanter,
L’abîme et les cieux et les eaux de la mer,
Qu’ils s’inclinent tous devant mon cher Amour.
Me réconforte et me tient le cœur joyeux
Haute Reine des cieux, Madonne avenante,
Qui a en sa garde mon Amour plaisant,
D’Elle recevrai, par grâce, mon Amour.
Ô mon amour Jésus, comment vais-je faire ?
Misérablement j’en péris, si ne T’ai.
Préserve-moi, ô Christ, de si grand dommage,
Que je ne te perde, ô mon unique Amour !
Tu es tout mon bien, et mon Amour parfait.
Sans toi ne me plaît nulle délectation ;
Aucun jeu ni joie de quiconque n’attends ;
Car autre ne veux que toi, mon seul Amour.
Mais quelle peine dans le cœur vais portant,
De l’Amour mien, que vais pourtant réclamant !
À tous autour de moi Jésus demandant,
Que par courtoisie me montrent mon Amour.
Que chacun parle de lui avec ardeur,
Et se prépare à lui donner son amour,
Orner veux un lit, et le remplir d’odeur,
Et Le mettre couché, là, dedans mon cœur.
Jacopone da TODI.
Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.