Comment l’âme par foi
vient aux choses invisibles
Avec les yeux qu’ai dans le chef,
La lumière du jour aidant,
À moi se présentent devant
Toutes les choses corporelles.
Avec les yeux qu’ai dans le chef,
Je vois le divin sacrement.
Le prêtre à l’autel me le montre ;
Du pain, oui, est pour qui le voit.
Mais la lumière de la foi
Autre chose, là, me démontre,
À ces yeux miens qu’ai au dedans,
Dedans mon esprit raisonnant.
Les quatre sens pourtant me disent :
Ce que vois est vraiment du pain.
Seule l’ouïe a résisté ;
Aucun des autres ne comprend.
Sous de telles visibles formes
Jésus -Christ caché est présent.
Ainsi aux âmes il se donne
En ce mode mystérieux.
Comment cela pourrait-il être ?
Je voudrais le voir par raison.
La haute puissance divine
Tu soumettrais à la raison ?
Il lui plut le ciel de créer
De ce nulle ne fut question.
Et vous feriez discussion
Pour cette courte œuvre qu’a faite ?
À l’invisible l’homme aveugle
Vient avec bâton de croyance ;
Et au très divin sacrement
Y vient avec ferme confiance.
Le Christ, qui là se tient caché,
T’attend avec sa bienveillance,
Et là se font les accordailles,
Que sa grâce veut te donner.
La cour où se font telles noces
N’est autre que l’Église sainte :
Tu viens à elle obéissant,
Et elle de foi te revêt.
Et puis te présente au Seigneur,
Comme épouse elle t’établit
Ici se font de nouveaux chants,
L’âme par foi est épousée.
Et là se forme un grand amour
Du haut et invisible Dieu ;
L’âme ne voit, mais elle sent
Que lui déplaît tout ce qu’est vil.
Miracle se voit infini :
L’enfer se fait un paradis ;
Se rue l’amour en frénésie,
Pleurant toute sa vie passée.
Ô vie mienne que je maudis,
Vie mondaine et luxurieuse,
Vie digne de truie puante,
Et souillée en merde fangeuse,
Tu méprisas la vie céleste
De l’odoriférante rose.
Ne passera pas cette chose,
Qu’elle ne soit de pleurs lavée.
Ô vie mienne que je maudis,
Vilaine, ingrate et orgueilleuse,
En mépris eus la vie céleste,
À Dieu étais toujours contraire,
Enfreignant les lois et statuts
De ses très saints commandements ;
Et Lui, de moi s’est fait sauveur,
Qui ne m’a à l’enfer damné.
Ô mon âme, que feras-tu
De tout le temps qui est passé ?
Ce n’est un dommage de peu,
Pour n’être pas longtemps pleuré.
D e pleurs, de soupirs, de douleurs
Seras en tout temps abreuvée.
Car ceci est mon grand péché,
Qu’à Dieu toujours étais ingrate.
Seigneur, ne te peux voir, mais vois
Que m’as en autre homme mué ;
L’amour de la terre as ôté,
Et en ciel ainsi m’as placé.
Toi qui donnes je ne vois pas,
Mais je vois et touche tes dons,
Car m’as le corps bien refréné,
Qu’en tant de laideur ai souillé.
Ô Chasteté, comment se fait
Que je t’aie en si grand plaisance ?
Et d’où jaillit cette lumière
Qui m’a donné telle science ?
Provient du Père des lumières,
Qui exhale sa bienveillance,
Et ceci n’est pas tromperie,
Sa grâce que m’a insufflée.
Ô Pauvreté, comment se fait
Qu’ore me fasses tant plaisir
Alors que tout le temps passé,
Horrible me fus à ouïr ?
Plus m’affligeais-tu que la fièvre,
Quand venait de toi la pensée,
Et ore t’ai en tel désir,
Que de toi suis tout amoureux.
Venez tous voir une merveille,
C’est que mon prochain peux aimer,
Et en rien ne me semble lourd
À mon dam de le supporter ;
Et de l’injure qui m’est faite
Léger aussi m’est le pardon ;
Et cela ne me peut suffire,
Si ne suis d’amour embrasé.
Venez donc voir cette merveille,
Que peux supporter les vergognes
Que pendant tout le temps passé
Toujours de moi ai éloignées ;
Ore me donne une allégresse,
Quand une vergogne m’échoit,
Parce qu’avec Dieu me conjoint
Dans son suave embrassement.
Ô foi brillante, éblouissante,
Par toi suis venu à ces fruits,
Que bénis soient le jour et l’heure
Où j’ai cru à ce que tu dis !
Me semble que ce sont les arrhes
De me tirer au ciel tout droit ;
Mes affections m’as tant haussé,
Que j’aspire à ton héritage.
Jacopone da TODI.
Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.