Doux amour de pauvreté
Ô doux amour de pauvreté,
À quel point te devons aimer !
Ô pauvreté, toute pauvrette,
Humilité est ta sœurette ;
Bien te contentes d’une écuelle,
Pour le boire et pour le manger.
Pauvreté rien d’autre ne veut
Que pain et eau et quelques herbes ;
S’il lui vient quelqu’un du dehors,
Vite y ajoute un peu de sel.
Pauvreté va en sûreté,
Car ne laisse nulle rancœur ;
Des larrons ne peut avoir peur,
Qui ne lui peuvent rien voler.
Pauvreté frappe à toute porte,
Ne possède ni sac ni bourse,
Nulle chose avec elle emporte,
Sinon ce qu’elle a à manger.
Pauvreté ne possède lit,
N’a pas maison qui ait un toit,
N’a pas de nappe ni de table,
S’assied à terre pour manger.
Pauvreté peut mourir en paix,
Nul testament jamais ne fait,
Ni parents ni collatéraux,
Pour elle n’entrent en litige.
Pauvreté a l’amour joyeux,
Car en mépris a tout le monde,
Aucun ami ne tourne autour,
Pour avoir à en hériter.
Ô pauvreté, tu es pauvrette,
Mais du Ciel tu es citadine,
Nulle chose de cette terre
Ne peux encore désirer.
Pauvreté, fais l’homme parfait,
Vis toujours en délectation,
Tout cela tu foules aux pieds,
Qu’il te convient de mépriser…
Pauvreté jamais rien ne gagne,
En tout temps est très généreuse,
Nulle chose jamais n’épargne
Pour le soir ou le lendemain.
Pauvreté chemine légère,
Vit allègre et n’est pas altière,
Est en tout lieu comme étrangère
Nulle chose veut emporter.
Pauvreté qui n’est simulée
Fait toujours bien par habitude,
Et dans le Ciel espère place,
Que doit avoir par héritage.
Pauvreté, grande monarchie,
Tout le monde as en ton pouvoir ;
Combien as haute seigneurie
De tout ce que as méprisé !
Pauvreté, sublime Savoir,
En méprisant de posséder,
Autant avilis ton vouloir,
Autant montes en liberté.
Qui vraiment pauvreté professe
Du haut royaume a la promesse ;
Cela fut dit par Christ lui-même,
Qui jamais ne se peut tromper.
Pauvreté, grande perfection,
D’autant plus s’accroît ta raison,
Que as déjà en possession
La suprême vie éternelle.
Pauvreté douce et gracieuse,
Toujours allègre et à ton aise,
Qui peut dire que soit indigne,
Pauvreté, de toujours t’aimer !
Pauvreté, celui qui bien t’aime
Plus te goûte, plus en a faim,
Car trouve en toi cette fontaine,
Qui jamais ne se peut tarir.
Pauvreté partout va criant,
À grand renfort de voix prêchant ;
Toutes richesses met au ban,
Qui se doivent abandonner.
Tenant en mépris les richesses
Et les honneurs des gens altiers,
Elle dit Où sont les richesses
De tous ceux qui sont trépassés ?
Pauvreté qui veut acquérir
Laisse le monde et ses folies
Et au dedans comme au dehors
Soi-même se doit mépriser.
Pauvreté est ne rien avoir
Et nulle chose posséder ;
Soi-même pour vil se tenir,
Et avec Christ plus tard régner.
Jacopone da TODI.
Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.