Éloge de la pauvreté
Dolce amor di povertade
Quanto ti deggiano amare
Doux amour de la pauvreté
Combien est grande ta plaisance !
Ô Pauvreté, l’Humilité
Sourit en sœur à ta naissance,
Pour boire et manger ta chevance
Te suffit l’écuelle au côté.
Pauvreté ! pour ta nourriture
Que te faut-il ? pain, herbe, eau pure,
Et le sel fait bonne mesure
S’il est, par surcroît, ajouté !
Pauvreté sans crainte chemine
A tout venant fait bonne mine
Et n’a pas peur qu’on l’assassine
Pour quelque trésor suspecté !
Pauvreté, qui heurte à la porte,
N’a musette ou sac qu’elle porte,
Et son échine est assez forte
Pour transporter tout son goûté !
Pauvreté n’a point de couchette,
Point de toit ni de maisonnette,
De table, de linge ou fourchette,
Son siège est sur l’herbe apprêté.
Pauvreté meurt calme et tranquille,
Sans testament ni codicille,
Rien ne divise sa famille
Sur sa dernière volonté.
Pauvreté, fille de misère,
Le ciel est ta cité première,
Et tu ne vois de bien sur terre
Qui vaille d’être souhaité.
Pauvreté, tu fais l’homme sage
De tout ce qui n’est qu’esclavage,
Grâce à ton aide, il se dégage,
Et sait vivre en joie et gaîté.
Pauvreté, grande souveraine,
Tu tiens le monde en ton domaine,
Car il n’est rien qui n’appartienne
À celui que rien n’a tenté.
Ô Pauvreté, le cœur qui t’aime
Trouve joie et calme en toi-même,
Car c’est toi la source suprême
De toute la félicité.
Que valent ces richesses vaines,
Dis-tu, ces gloires si hautaines,
Ces honneurs, ces grandeurs humaines,
Quand pour mort un homme est compté !
Pauvreté vient et nous enseigne
Qu’on soit sans peur, qu’on se dédaigne,
Et qu’on n’ait rien, pour que l’on règne
Avec Christ, dans l’Éternité.
Jacopone da TODI.
Traduit par Paul BAILLÈRE, dans
Poètes lyriques d’Italie et d’Espagne,
A. Lemerre.