Du jugement personnel
de l’âme coupable
Ô Jésus-Christ, prends pitié,
Pardonne-moi mon péché,
Car à ceci suis mené
Que ne peux plus échapper.
Jà ne peux plus y échapper,
Puisque la mort m’a abattu ;
Enlevé m’a tous les plaisirs
De ce monde où ai tant vécu ;
N’ai pas pu autre chose faire,
Et par devant toi suis venu ;
Et m’est grand besoin de ton aide,
Car l’ennemi veut m’accuser.
– N’est plus temps de te repentir,
Après la mort, de ton péché ;
Souvent te fut remémoré
Qu’était bon de te confesser ;
Mais ne voulus être loyal,
En ce qui te fut commandé.
La justice a le principat,
Et veut ici t’examiner. –
L’Ennemi aussi est venu
Prendre sa part à ce procès :
– Ô Seigneur Dieu, te supplie bien
De m’entendre et faire raison ;
Qu’à cet homme doit advenir
Que moi je le mène en prison,
Si je te prouve la raison
Comment il se doit condamner. –
Le Seigneur, qui est dernier juge,
Répond après cette requête :
– La preuve, si elle est sincère,
Je l’entendrai avec rigueur ;
Parce que tout bon homme espère
Que je suis véridique et droit.
Si tu as son affaire écrite,
Or en dis ce que te paraît.
– Seigneur, c’est toi qui l’as créé,
Ainsi que fut ton bon plaisir ;
De tant de grâces l’as orné,
Lui accordas discernement ;
Aucune chose a observé
De ce que lui as commandé ;
Celui à qui a fait service
Se doit de l’en récompenser.
Car tout à fait bien il savait
Quand il prêtait avec usure ;
Au pauvre même ne donnait
Que vraiment mauvaise mesure ;
Mais dans la cour qui est la mienne,
Lui ferai tel remboursement,
Qu’il n’a jamais senti encore
Ce que lui ferai essayer.
Parfois d’autres lui disaient :
Pensez à vos fins dernières.
Et celui-ci s’en riait,
Car ne croyait pas mourir.
Courtois suis à ma maison,
Le ferai très bien servir ;
Puisqu’à moi a voulu venir,
Jà ne saurais le renoncer.
Si voyait une assemblée
De dames et de damoiseaux,
Y allait avec instrument,
Et avec ses chansons nouvelles ;
Faisait ainsi acquisition
Pour lui de petits misérables ;
En ma maison ai des valets,
Qui l’enseigneront à chanter.
Si raconte toute l’histoire,
Vous jure qu’en ai grand regret,
Bien que pourtant de vaine gloire
Y aurait là grand sujet.
Pour que lui revienne en mémoire,
Je n’ai fait que d’y toucher ;
Sans payer aucun argent,
La copie en ai fait tirer.
Qu’en apporte son témoignage
L’ange qui était son gardien
Si j’ai dit aucun mensonge,
Contre cet homme mondain !
Me fie en sa loyauté,
Car mentir ne lui est sain.
Or te prie, Dieu souverain,
Que me fasses raison faire. –
L’ange s’en vient incontinent,
Pour produire son témoignage :
– Sache Seigneur, en vérité,
Qu’il a dit ce qui est certain ;
Et que dit n’a presque rien
De sa basse iniquité ;
Tenu m’a en profond mépris,
Pendant qu’étais à le garder.
– Réponds-moi, ô malfaisant,
Si tu as aucune excuse,
Car faire je veux raison
De ce qui a été prouvé ;
N’avais aucune raison
De montrer un tel orgueil ;
Faire en veux grande vengeance,
Ne le peux plus supporter. –
– De cela qui m’est prouvé
Aucune excuse je n’ai.
Je te prie, Dieu bienheureux,
Que m’aides en ce passage ;
Car m’a tellement apeuré
Et menacé du grand voyage,
Tant est obscur son visage,
Que me fait tout angoisser.
– Pendant longtemps t’ai attendu,
Que tu te devais repentir ;
Avec raison es condamné
Et te dois de moi départir ;
De mon visage sois privé,
Que jamais ne le puisses voir.
Faites venir les adversaires,
Qui le doivent accompagner !
– Ô Seigneur, comment me dépars
De ta bienheureuse vision ?
Comme sont vite rassemblés
Pour m’emmener à la prison !
Puisque de Toi je me dépars,
Donne-moi ta bénédiction,
Accorde-moi consolation,
En cet instant où je trépasse ! –
Et moi, plutôt, je te maudis ;
De tout bien sois à jamais privé !
Va en enfer, pécheur indigne,
Qui tellement m’a méprisé !
Si avais été mon ami,
Ne serais pas ainsi mené ;
À l’enfer tu es condamné
Éternellement à rester. –
L’ennemi a fait rassembler
Mille des siens avec des fourches,
Et mille autres a fait rester,
Qui ressemblent à des dragons ;
Chacun brigue de l’attaquer
Et lui font chanter leurs chansons ;
Disent : Ceci au cœur te mets,
Que te faut chez nous demeurer.
Avec une très grande chaîne
Étroitement ils l’ont lié ;
À l’enfer avec grande peine
Très durement l’ont emmené ;
Puis crient ceux qui portent les crocs :
« Sors dehors » au pauvre damné ;
Tout le peuple s’est rassemblé,
Et dans le feu le font jeter.
Jacopone da TODI.
Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.