Du jugement universel
Au nom de Dieu très saint et omnipotent !
Ô Seigneur très doux, très calme et très patient,
Sire, qui es Seigneur de l’humaine gent,
Daigne me raffermir le cœur et l’esprit !
Veux vous raconter la grande prophétie,
Que dit l’Écriture, qui jamais ne ment.
Viendra la force de Dieu omnipotent,
À juger le monde et toute humaine gent,
Avec ses guerriers ailés.
Alors nous conviendra d’être bien armés,
Lorsque de sa part nous serons appelés :
Mais malheur à tous ceux qui seront damnés ;
Pleureront, tournés vers le ciel, d’être nés,
Et d’être venus au monde.
Cette peur abjecte ne trouvera fond,
Car est un océan immense et profond !
L’un à l’autre dira : Où donc me cacher ?
Car tremblera la mer et le monde entier,
De glaciale terreur.
Car devra venir la très haute figure,
À prononcer cette sentence si dure,
Comme Seigneur et juge en toute droiture.
Gare à ceux qui s’en iront à la chaudière :
Malheureux, comment feront ?
Mais seront enseignés avant que de voir ;
De grand peur à venir ils se douteront :
Tous les éléments se bouleverseront ;
Par la crainte les étoiles tomberont
Du ciel, tout incontinent.
Du côté du levant comme du ponant,
Tomberont de toute part très durement.
Alors pleurera toute l’humaine gent,
Et le pécheur sera tout triste et dolent,
Qui ouvra contre raison.
Seront repentis de toutes leurs offenses ;
Parce qu’attendront d’avoir punition ;
Par l’extrême peur tomberont face à terre :
Parler ne pourront plus ni faire sermon,
Troublés jusqu’en leur esprit.
Toute la terre reviendra au néant ;
Les pierres sangloteront très durement ;
Se bouleverseront tous les monuments,
Par la sentence de Dieu omnipotent,
Que tous ils écouteront.
Et toutes les eaux aussi se céleront,
La mer et les fleuves se retireront,
Et puis, au troisième jour, retourneront.
Par la grand pestilence décéderont
Les hommes ensemble auprès.
Sera en tout coin telle tribulation,
De grand douleur, et de tourment et de plaintes.
Les misérables qui firent tant de mal
Alors oublieront et le jeu et le chant ;
Que dans le monde avaient eus.
Ne trouveront aucun conseil ni appui,
Parce que leur Seigneur n’ont pas reconnu.
Ce sur quoi ont compté leur fera faillite.
Les grandes fonctions et toutes les richesses
Ne vaudront pour eux plus rien.
La lune et le soleil, soyez bien certains,
Que ne nous donneront aucune lumière :
Les voyant tellement obscurs, il semblera
Aux hommes les voir visiblement pleurer
De pitié et de douleur.
Les arbres cesseront de donner des fleurs :
La terre ne donnera fruit ni odeur ;
La mer ne gardera aucune valeur,
Par la terreur qu’aura de si grand Seigneur,
Qui jà s’apprête à venir.
Puisqu’au jugement ne pouvons échapper,
Et sommes certains que pourtant doit venir,
Tout homme ait cure de ne devoir pâtir
Cette grande peine qui ne peut se dire,
Tant elle est cruelle et forte.
Bêtes et oiseaux giront à terre mortes,
Leurs corps présenteront tordus vers le ciel
Signe certain de fin atroce et cruelle.
Mais malheur à ceux qui attendront tel sort
D’être par delà damnés.
Toutes les montagnes seront abaissées,
Et l’air raréfié, les vents bouleversés ;
Et la mer mugira de tous les côtés.
Avec leurs eaux seront arrêtés ensemble
Les fleuves en grande attente.
Lors ouïras du ciel trompettes sonner,
Et tous les vieux morts verras ressusciter,
Devant le tribunal du Christ s’en aller,
Et le feu ardent à travers l’air voler,
Avec grand vélocité.
Après que les âmes seront rassemblées,
En vallée Josaphat toutes préparées,
Ouïra-t-on Christ dire, du bienheureux
Trône à toutes gens : Or bien me regardez,
Comme fus mal arrangé !
Et ses ministres étant à ses côtés,
Montrera du doigt la plaie de son côté,
Les mains et les pieds, comme fut perforé,
Et de très aiguë couronne couronné,
Et les marques que conserve.
Et montrera à l’humaine gent sa peine,
Et le fouet et les cordes et les chaînes,
Ses tourments et toutes ses males menées,
Et les âmes alors de tristesse remplies,
Pleureront désespérées.
Alors se verront prononcer leur sentence
Les âmes coupables qui seront damnées :
S’en iront par les démons accompagnées,
Elles ne seront jamais rémunérées,
Sinon par le feu ardent.
À ce feu s’en iront, très fort et cuisant,
À pâtir de peines de corps et d’esprit ;
De rafraîchissement jamais n’en auront,
Et pour l’éternité seront moult dolents,
En stricte et basse prison.
Ensuite prendra le Christ son gonfalon,
Les siens appellera avec doux sermon :
Venez avec moi, tous mes chers compagnons,
À posséder le royaume et la maison,
De mon Père tout-puissant !
S’en iront au paradis tout reluisant,
Avec joie et avec soulas, très gaiement,
Car bien ils connurent que leur convenait
D’être serviteurs de Dieu omnipotent,
Dieu de paix et de victoire.
Ore voici qu’avons fini cette histoire.
Ô grand Dieu, conduis-nous jusqu’à cette gloire,
Et donne-nous bon sens et droite mémoire,
Que te servions sans rechercher vaine gloire,
Avec le cœur et l’esprit.
Et fais nous sages et fais-nous connaissants,
Et sauve-nous de peines et de tourments ;
Donne-nous de nos fautes d’être dolents,
Et à tes ordres toujours obéissants,
Comme te paraît et te plaît.
Porte-nous aide, haut Seigneur véridique,
Et sauve-nous de cette flamme horrifique,
Et donne-nous repentir si authentique,
Qu’au ciel nous puissions venir à cette paix,
Où règnes éternellement.
Jacopone da TODI.
Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.