Mû par une sainte folie…

 

 

Mû par une sainte folie,

Vous veux narrer toute ma vie.

 

En pensant un jour à la mort,

Commençai à trembler très fort,

Pour ce qu’avais ouvré à tort,

Si bien que damné me voyais.

 

La fortune ira aux parents,

Et le corps aux vers très puants,

L’âme sera en feux ardents

Tourmentée la nuit et le jour.

 

Pour fallacieux et vains plaisirs,

Ne serai parmi les élus,

Mais avec les démons maudits,

En une terrible agonie.

 

Compris qu’étais stupide et fou

De rechercher le vain soulas ;

De mes péchés étais esclave,

Et du Diable en domination.

 

De me sauver ayant désir,

Suppliai Dieu, Seigneur du ciel,

Que retirât de moi tout voile,

Pour assainir ma maladie.

 

Pour suivre toutes ses lumières,

Relus en entier son volume,

Trouvai que toutes ses coutumes

De salut étaient droite voie.

 

Vis encore que tant de saints

Se donnèrent à peine et pleurs

Et souffrirent tant de tourments,

Pour suivre Jésus-Christ Messie.

 

Me dis : Est temps de produire actes,

Et non paroles comme fous ;

Commençai, et me résolus

À sortir de l’enfantillage.

 

Eus une contrition parfaite

En confession pure et sincère,

Satisfis vite entièrement,

Comme convient au repentant.

 

Bannis les pensers dépravés,

Avec pensers saints et suaves ;

Et entrepris moult oeuvres graves,

Pour que mon âme fût sauvée.

 

L’occasion du mal je fuyais,

Pour ne devenir plus mauvais ;

Fis du bien effectivement,

Évitant toute hypocrisie.

 

Rappelai à moi tout mon sens,

Au service de Dieu immense,

D’oraison lui donnai l’encens,

En psalmodiant en compagnie.

 

Pour éviter gentil honneur,

Me mis à toute oeuvre servile,

Et pour être réputé vil,

Supporter voulus vilenie.

 

Pour acquérir un peu de fruit,

Tins mon corps en plainte et en deuil

Et le disciplinai du tout,

Pour abattre sa gaillardise.

 

Avec veilles et avec jeûnes,

Fuyais tout charnel aiguillon.

Et à mes sens plus ne donnais

Aucun plaisir comme autrefois.

 

Après m’être bien exercé,

Repensais à tous mes vieux vices

Et aux immenses bénéfices,

Que le Seigneur m’avait donnés.

 

De mon mal demandais pardon,

Le remerciais de tous ses dons,

En priant ce Seigneur très bon

De ne regarder ma folie.

 

Pour avoir haine de mon vice,

Et de Dieu avoir grand désir,

« Qui es-Tu et que suis-je moi ? »

Je me mettais à méditer.

 

« Tu m’allumes l’intelligence

Et m’enflammes bien l’affection,

Afin que je chemine droit »,

Telle était à Lui ma prière.

 

Pendant que sa vie méditais,

Venait la mienne s’épurant ;

Plus à Lui allait ma pensée,

Plus de grâces me concédait.

 

Illuminé par ses rayons,

De tout amour me dépouillai ;

De Lui tout seul m’enamourai

Et pus goûter sa mélodie.

 

Voulus exercer tout d’abord

Vie active sous toute forme.

Mais du monde perdis l’estime,

Parce que du vrai fait mensonge.

 

Maintenant mon Jésus contemple,

Cherchant à suivre son exemple ;

De mon cœur Lui ai fait un temple,

Et suis tout en jubilation.

 

Ne se fatigue qui fait bien,

Car l’amour tempère la peine.

Les vertus pour moi sont des chaînes,

L’âme tiennent en allégresse.

 

Étant de tout homme disjoint,

Tout entier suis à Dieu conjoint,

Et me trouve souvent ravi

Dans la céleste hiérarchie.

 

Déguste, en priant, cette manne

Qui me fait chanter hosanna.

Voyez pourtant combien s’égare

Qui recherche autre marchandise.

 

Tout le bien qui de Lui descend,

Mon esprit ne le peut comprendre ;

Pourtant si bien mon cœur s’enflamme,

Que pour lui je voudrais mourir.

 

En gardant enflammé l’amour,

Mets de côté l’intelligence ;

Puis me jette sans nul objet

Au milieu de saintes ténèbres.

 

Mon âme alors toute ravie,

Parmi Sa lumière infinie,

Tant avec Lui se trouve unie,

Que de soi jamais ne sera.

 

Doux baisers, saints embrassements

Sens que dans mon cœur il a mis,

Tant que convient de confesser

Sa grande magnanimité.

 

En un tel état, où me trouve,

Par amour tout me renouvelle.

D’autant plus L’aime, plus éprouve

Qu’Il est le bien que l’on désire.

 

Toi, par qui mon cœur est joyeux,

Je te supplie de m’exaucer :

Que tous à Toi donnent louange,

Ainsi qu’à Ta Mère Marie.

 

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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