De la plainte de l’Église réduite à mauvais état

 

 

Pleure l’Église, oui, pleure et se lamente,

Sent tout le malheur de détestable état.

 

Ô très noble maman, pourquoi pleures-tu ?

Tu montres que sens des douleurs par trop grandes ;

Narre-moi la raison pourquoi tu gémis,

Et si rude plainte fais démesurée.

 

– Mon fils, tant je pleurs, que j’en ai sujet ;

Je me vois tous morts, mon père et mon mari ;

Enfants, frères, neveux, les ai tous perdus,

Tous mes amis sont pris et chargés de liens.

 

Je suis entourée de mille enfants bâtards,

Qui en tout mien combat se montrent couards ;

Mes légitimes, devant épées ou dards,

Leur courage jamais n’en était changé.

 

Mes fils légitimes étaient en concorde,

Je vois les bâtards toujours pleins de discorde,

La gent infidèle m’appelle la orde,

Pour le mauvais exemple que j’ai semé.

 

Je vois partout bannir Dame Pauvreté,

Nul n’a cure de rien, sinon de dignité ;

Mes fils légitimes, en leur sainte âpreté,

Tout le monde leur était foulé aux pieds.

 

L’or et l’argent ils ont remis en honneur,

Fait ont mes ennemis avec eux festin,

Tout bon usage par eux est rejeté,

De là ma plainte, avec grand gémissement.

 

Où sont les patriarches remplis de foi ?

Nul est qui désire pour elle mourir ;

La fade tiédeur me saisit et m’occit,

De ma grande douleur nul ne se lamente.

 

Où sont les prophètes remplis d’espérance ?

Nul est qui me soigne en mon triste veuvage ;

La présomption a pris une telle audace,

Que tout le monde, après elle, s’est dressé ?

 

Où sont les apôtres remplis de ferveur ?

Nul est qui se soucie de ma grand douleur ;

S’est levé contre moi l’amour de soi-même

Et jà ne vois aucun qui contre se dresse.

 

Où sont les martyrs, qui étaient pleins de force ?

N’en est qui m’assiste en mon cruel veuvage ;

S’est levé contre moi le relâchement,

Toute ma ferveur en est annihilée.

 

Où sont donc les prélats justes et fervents,

Dont la vie faisait la santé des nations ?

Levée s’est la pompe et l’enflure puissante,

Et si noble ordre tout entier ont souillé.

 

Où sont les docteurs, tout remplis de prudence ?

Beaucoup d’eux je vois très montés en science,

Mais leur vie, hélas, pour moi n’a convenance ;

Frappé m’ont du pied, le cœur m’est écœuré.

 

Ô mes religieux, en votre tempérance,

Grandement par vous étais réconfortée ;

Ore vais cherchant parmi tous les couvents,

Combien peu j’en trouve, en qui sois consolée.

 

Ô paix amère, combien m’as affligée !

Quand j’étais en combat, me tenais si droite !

Ore le repos m’a saisie et défaite,

Le caressant dragon m’a empoisonnée.

 

Nul est qui accoure en entendant ma plainte,

En chacun des États, je vois mon Christ mort ;

Ô ma vie, mon espérance et ma joie,

En tout cœur, mon Dieu, je te vois étouffé.

 

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

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