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De la pitié et justice du Christ
Ô homme, de toi me lamente,
Qui loin de moi t’en vas fuyant,
Alors que je te veux sauver.
Ô homme, afin de te sauver,
Et pour te mener à la voie,
Chair il me fallut demander
Au sein de la Vierge Marie ;
Mais rien ne me vaut courtoisie,
Si grande est la méconnaissance,
Qu’à mon égard tu veux montrer.
Si pour toi j’étais un seigneur
Dur et cruel et moult vilain,
Aurait ton excuse valeur,
Que fuyasses hors de ma main ;
Mais toujours veux être insoumis ;
Car le grand bien que je t’ai fait,
Dessus tu ne veux méditer.
Les créatures ai créé,
Qui ont devoir de te servir ;
Et selon que sont ordonnées,
Toutes vois faire leur devoir ;
En as reçu la jouissance,
Et de moi qui les ai créées,
Tu ne veux pas te souvenir.
Comme homme qui aime son fils,
Quand il est en mauvaise voie,
Le menace et puis le conseille,
Pour que du mal soit amendé,
De l’enfer je t’ai menacé,
Et de gloire t’ai fait promesse,
Si vers moi te veux retourner.
Mon fils, ne t’en va pas fuyant !
Si longtemps j’ai suivi tes traces,
Que te donner veux mon royaume
Et te tirer hors de tout dam ;
Et te veux remettre le ban,
Dans lequel tu t’es laissé choir,
Car n’as pas de quoi le payer.
Ne t’en va plus de moi fuyant,
Ô mon très doux, très aimé frère !
Tant suis allé de toi quêtant,
Qu’à cela me mande mon Père !
Retourne à la charité,
Car toute notre cour t’espère,
Avec nous te dois rallégrer
Mon Père vraiment m’a mandé,
Pour qu’à sa cour je te ramène ;
Comment es-tu si endurci,
Qu’à si grand amour ne t’inclines ?
Frère, ore mets désormais fin
À ta triste méconnaissance,
Car tant et tant m’as fait peiner !
Fait ai pour toi pèlerinage,
Qui fut moult cruel et amer ;
Et vois mes mains comme les ai,
Combien je t’ai acheté cher !
Frère, ne me sois si avare,
Car grandement cher m’as coûté,
Pour vouloir faire ta richesse.
Regarde ici à mon côté,
Comment pour toi fus affligé,
De lance me fut transpercé,
Le fer au cœur me fut dressé ;
En lui ai ton nom tant écrit,
(Tu y fus inscrit par l’amour)
Que ne me devrais oublier !
Par la chair égarer te laisses,
Pour quoi de moi te dois partir ;
Pour un vil plaisir te rabaisses,
Ne penses à quoi dois venir.
Mon fils, ne pense plus à fuir,
Car tomberas en male voie,
Si de moi détournes tes pas.
Le monde se montre plaisant,
Pour te faire croire qu’est bon ;
Mais ne te dit combien n’est rien,
Et comment te ravit grand don,
Voyant que moi je te couronne,
Et te place en si grand état,
Si à moi te veux accoster.
Les démons pourtant vont guettant,
Pour te faire choir en péché ;
Du ciel t’ont chassé à grand dam,
Et t’ont féru et dépouillé ;
Que ne remontes à l’état,
Lequel justement as perdu,
Devant toi vont pour t’égarer.
Tant d’ennemis as alentour,
Ô malheureux, et ne les vois !
As la chair, le diable, le monde,
Et combattre ne les pourras ;
Et ne te pourras seul aider,
Si de moi ne t’armes et t’aides,
Qu’ils ne te puissent soutirer.
Si autre seigneur tu trouvais,
Pour toi qui puisse être meilleur,
Excuse tu pourrais montrer
Et n’en aurais telle douleur.
Mais me délaisses pour un traître,
Qui te mène droit en enfer,
Là où il te veut tourmenter.
Tu fuis de la main pitoyable,
Et vas vers la main de vengeance.
Grandement sera douloureuse
Cette sentence rigoureuse ;
Car je te la donnerai droite,
Pour tout le mal que tu as fait,
Et ne la pourras révoquer.
Mal volontiers je te condamne,
Tant est l’amour que je te porte !
Mais toujours vas en empirant,
Et ne m’en vient nul réconfort...
Te porterai l’ultime botte,
Puisque rien d’autre ne me sert,
Et toujours me veux résister.
Jacopone da TODI.
Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.
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