À mon fils

 

 

Si, malgré son courage, à sa tâche ravie

Ta mère succombait sous le poids de la vie,

Ô mon fils ! souviens-toi, souviens-toi, chaque jour,

De celle qui t’avait aimé de tant d’amour !

Souviens-toi, quand le soir, une main étrangère

Froidement dans ton lit te viendra déposer,

Qu’à nulle autre jamais n’aurait cédé ta mère

Ni ton premier regard, ni ton dernier baiser,

Souviens-toi que deux fois tu lui dois l’existence ;

Que, faible, elle a voulu, bravant toute souffrance

Et malgré les docteurs qui l’avaient défendu,

Que tu busses la vie à son sein suspendu.

Combien de fois alors elle dit en son âme,

Souriant doucement à ton avidité :

« Qu’il suce avec mon lait l’horreur du vice infâme,

« L’amour du bien, du juste et de la vérité ! »

 

Et puis elle priait dans une foi profonde,

Ne demandant jamais pour toi dans ce bas monde

L’argent qui sèche l’âme et qu’on croit le bonheur ;

Mais, à Dieu, pour son fils les richesses du cœur.

Plus tard, dans le sentier de l’aride science,

C’est elle qui voulut guider tes premiers pas ;

Elle, dont rien ne put lasser la patience,

Et dont l’amour constant ne se rebuta pas.

C’est elle aussi, mon fils, elle, qui la première,

Joignant tes jeunes mains, t’enseigna la prière,

Et te parla d’un Dieu consolateur et bon,

À tous les repentirs accordant le pardon.

Elle voulut donner la vie à tout ton être :

À ton corps, par son lait ; à ton cœur par l’amour ;

À ton esprit enfin en te faisant connaître

La science qui doit t’apprendre tout un jour.

Tu dois donc à ta mère une triple existence :

Celle du corps, de l’âme et de l’intelligence.

Quoi qu’il arrive, enfant, tu dois t’en souvenir ;

Elle a presque accompli sa tâche, et peut mourir.

 

Et cependant, souvent, quand elle te regarde,

Croyant lire déjà dans tes beaux yeux rêveurs

L’avenir tourmenté que le destin te garde :

« Qui le consolera, dit-elle, si je meurs ?

« Alors que seul, en proie aux luttes de la vie,

« À bout de tout courage et de toute énergie

« Son âme faiblira sous un trop rude effort,

« Qui donc le soutiendra ? qui lui dira : sois fort !

« Sois fort, ô mon enfant ! ceins tes reins pour la lice ;

« Entre-z-y le front haut et n’en sors que vainqueur,

« Sois prêt pour le combat, prêt pour le sacrifice,

« Y dusses-tu laisser des lambeaux de ton cœur !

« Marche droit dans le bien ; pas d’indigne faiblesse ;

« Avec tes passions lutte, lutte sans cesse.

« Des fautes dans ta vie et pas d’iniquités,

« Des combats, des douleurs ; jamais de lâchetés.

« Cherche dans le travail l’oubli de toute peine ;

« Retrempe à cette source et ton corps et ton cœur.

« C’est lui qui vient en aide à la faiblesse humaine,

« Et qui, domptant l’esprit, sauvegarde l’honneur !

 

« Courage ! mon enfant ; Dieu fit la vie amère...

« Si jamais tu doutais en des jours de misère,

« Lève les yeux au ciel pour raviver ta foi ;

« Et de ta mère, alors, ô mon fils ! souviens-toi ! »

 

 

 

                                                                        1856.

 

 

Adèle TOUSSAINT,

Épaves, sourires et larmes, 1870.

 

 

 

 

 

 

 

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