PRIÈRE DE L’ENFANT QUI S’ENDORT

 

 

                                                       À Madame D. S.

 

 

Ô Dieu, toi que mon cœur vénère,

Sans pouvoir te comprendre encor.

Daigne recevoir la prière

Du petit enfant qui s’endort.

 

Qu’elle monte à toi, parfumée

Comme l’odeur des encensoirs,

Douce comme ma mère aimée,

Et sereine comme les soirs.

 

Je vois briller au ciel limpide,

Mille points d’or en ce moment ;

Que ma prière soit candide

Comme ces fleurs du firmament.

 

Ô Dieu bon, protège mon père

Garde-lui bonheur et santé ;

D’une main large et tutélaire

Verse-lui la félicité.

 

Donne-lui tout ce qu’il désire,

Car s’il fait des vœux, c’est pour nous.

Donne, afin qu’il puisse sourire,

Quand je monte sur ses genoux,

 

Si parfois son cœur désespère,

Sème l’espoir en son chemin :

Tu peux bien soutenir mon père,

Toi le père du genre humain.

 

Et ma mère, tendre visage,

Sur mon berceau toujours penché,

Ma mère qui me dit : « Sois sage,

Car Dieu te voit, bien que caché ! »

 

Et ma mère qui sur ma bouche,

Mit la première ton saint nom,

Ton image près de ma couche,

Ton signe de croix sur mon front ;

 

Et ma mère qui va sur terre,

Faisant à tous un peu de bien,

Oh ! Seigneur, aime bien ma mère,

Et, vois-tu, je t’aimerai bien.

 

Hier, j’ai fait un joyeux songe,

Tes anges tout parés de blanc,

Je les ai vus, c’était mensonge...

Pourtant j’en suis encor tremblant.

 

Ils avaient tous une couronne,

Faite de lys et de jasmins,

Et sur les marches de ton trône

Jouaient en se tenant les mains.

 

Mais, dis-moi, qui m’ouvrit la porte

De ton radieux paradis ?

Là-haut, si loin, qui donc m’emporte ?

Est-ce une fée ?... est-ce toi ?... dis.

 

Si c’est toi, daigne me permettre,

Un nouveau rêve cette nuit ;

Pour une fois, je voudrais être

Petite étoile au front qui luit.

 

Et quand viendra la blonde aurore,

Fais-moi redescendre ici-bas ;

Laisse-moi sur la terre encore

Pour que mère ne pleure pas.

 

 

 

                                     Émile TROLLIET.

 

                  Paru dans La Sylphide en 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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