L’harmonie des âmes

 

À Sully Prudhomme.

 

 

Depuis que je suis né, j’adore l’harmonie ;

Et ce fut, tout d’abord, celle des chants lointains

D’une femme, berçant mes sommeils enfantins,

Aux accents d’une voix monotone et bénie ;

 

Et quand je grandissais, en pleins champs, en plein ciel,

Ce fut celle des nids écoutés dans la plaine,

Et d’où le rossignol, au point d’en perdre haleine,

Lançait, éperdument, son hymne à l’Éternel ;

 

Et, lorsque j’eus vingt ans, ce fut celle des rimes,

Des rimes, douces voix chantant au bout des vers,

Prolongeant, d’un écho musical et divers,

Toutes les voix du cœur, ou tendres, ou sublimes ;

 

Mais déjà, plus profonds et plus inapaisés,

D’autres rythmes, hélas ! me brûlaient de leurs fièvres,

Et je connus alors votre harmonie, ô lèvres,

Vous qui chérissez trop la chanson des baisers !

 

Mais, au lieu d’endormir, vous irritez nos flammes ;

De vos enivrements j’ai su la vanité ;

Et, de votre harmonie un peu désenchanté ;

J’ai recherché la vraie enfin, – celle des âmes !

 

 

 

Émile TROLLIET.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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